Le terme post-dadaïsme n’est peut-être pas totalement adéquat pour qualifier le livre de Corey Frost, mais c’est celui qui dit le mieux, semble-t-il, cette mise à sac des idées préconçues sur la littérature, la politique, la vérité, le sens à donner aux choses. « Vous (le public) et moi, nous avons des buts contraires. Vous voudriez démêler les fils de ce tissu de citations, mais moi j’essaie de les coudre ensemble pour me fabriquer une paire de sous-vêtements pare-balles », écrit l’auteur dans un chapitre intitulé « Cité hors contexte », où il pousse jusqu’à l’absurde la règle de l’utilisation des guillemets tout en évoquant une boîte noire cachée au fond de l’océan Atlantique et contenant ses dernières paroles. Post-dadaïsme, aussi parce que ce recueil de fictions s’inscrit dans un monde en constante fluctuation, lui-même déroutant, où il est impossible de se faire une idée sur quelque chose sans paraître fou, comme cet homme croisé dans un train, qui s’est mis à croire en Dieu à cause de la preuve irréfutable que constitue le saint suaire. En outre, qu’est-ce que l’authenticité en littérature, se demande l’écrivain, puisque le message réside maintenant dans la manière, dans le faux ? Et l’auteur de construire des graphiques à l’appui – qui ne démontrent rien. Le bouquin érige ainsi un savant amalgame de contradictions ; il n’y a que ça au fond de vrai : ce que le discours affirme en le niant de toutes ses forces. Ou bien ce qu’il tait volontairement. Comme dans une certaine poésie contemporaine dont il se rapproche beaucoup – des libraires ont d’ailleurs classé ce livre dans la catégorie poésie –, Tout ce que je sais en cinq minutes cultive en effet le vide entre les phrases, c’est-à-dire que chaque phrase d’un texte peut être un monde en soi, qui n’a parfois aucun lien causal avec la suivante et la précédente ; au lecteur de le trouver. L’essentiel fonctionne sous le mode de la fragmentation, de la multiplication des niveaux de lecture, du métadiscours parfois, mais toujours avec un humour pince-sans-rire et une drôlerie tout à fait rafraîchissante. « Amenez l’art se promener au parc, écrit Frost. Lancez-lui le frisbee. Si vous aimez l’art, ligotez-le à un banc et laissez-le là. Éloignez-vous de lui en ignorant ses supplications. » La littérature a besoin d’être violentée de temps en temps. En lui dérobant son ou ses sens, on crée en elle l’espace nécessaire pour en inventer des neufs, plus appropriés au monde et au temps actuels.
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