Dans un brillant récit intime, l’écrivaine raconte son passage à la vie de mère. À peine l’enfant sorti de son ventre, une envie de fuir assaille la jeune trentenaire. Qu’adviendra-t-il de ce pour quoi elle est faite ? Son moi d’avant. Sa vie, c’est le monde des livres, c’est l’écriture et la lecture. C’est la liberté d’aller et de venir, de changer de ville et d’amoureux.
La narratrice revient sur son passé récent, grossesse sereine, accouchement par le siège réussi, signes de sa solidité. Puis, traces laissées sur le corps, nuits perturbées, quotidien routinier. La voilà qui se sent fragile. Perte de repères. Syndrome de ce que d’autres appellent dépression post-partum due aux changements hormonaux ? Kerninon ne le mentionne pas. C’est la perte de son identité qui lui fait perdre pied, le deuil de la vie extraordinaire d’avant. Elle revient sur la période de son adolescence, à seize ans, amoureuse d’un écrivain de dix ans son aîné, à dix-neuf ans, d’un limonadier au café où elle travaille tout en poursuivant ses études de lettres. Elle va de l’un à l’autre, avant de fuir, à défaut de savoir « mettre [des] frontières avec les mots ».
Comment vivre sans ces folles nuits à fumer, à boire, à faire l’amour et à échanger des poèmes ? Comment quitter une jeunesse vagabonde où elle pouvait partir à l’improviste retrouver l’aimé dans une autre ville à sa demande ? Mais surtout, comment entretenir son bonheur d’écrire sans la liberté de taper sur son clavier des nuits entières ? Écrire est toute sa vie de répéter celle qui a obtenu un doctorat en littérature américaine. La rencontre à 25 ans de celui qui deviendra le père de ses enfants l’amène sur un chemin qu’elle n’imaginait pas. Le doute d’abord : est-ce de l’amour quand tout est si simple ? Quand l’amour signifie liberté, paix et même sécurité alors que l’on a déjà connu l’attente, la dépendance émotive ?
Le témoignage de Kerninon captive par sa sincérité et sa lucidité. Ni nostalgie, ni résilience, car la transformation ne requiert pas l’amputation du vieux soi. Devenue mère, elle est toujours écrivaine et grande lectrice comme en font foi la publication de romans applaudis par la critique et les nombreuses références à de grands auteurs dont elle émaille son récit. L’avenir reste ouvert, « seule chose définitive », ses enfants, au cœur de situations qu’elle énumère dans un style vif, véritable chant d’amour.