Avouons-le tout de go : ce livre est un pur délice. D’abord par sa facture qui le mettra, et pour longtemps, à l’abri de mes rages saisonnières de ménage en vue de libérer quelque espace sur les rayons de mes bibliothèques. Terrae incognitae appartient à ces livres dans lesquels on se replonge avec un plaisir chaque fois renouvelé, ne serait-ce que pour céder au charme évocateur des planches qui y sont reproduites : cartes de l’Atlantique sud du XIXe siècle, reproductions de la faune ailée et aquatique vivant dans ces eaux, sans parler des nombreux croquis de manchots, tous plus rigolos les uns que les autres, mais surtout, surtout, les reproductions des pages du journal de bord d’Hippolyte Webb, qui entreprit de redécouvrir trois îles qu’on croyait perdues, les Aurora, situées quelque part entre les Malouines et la Géorgie du Sud.
Le plaisir ne se résume pas à la facture visuelle, loin s’en faut, mais il est si peu habituel qu’on s’en préoccupe à ce point que lorsque la chose se produit, il serait dommage de le passer sous silence. J’aurais sans doute dû souligner d’emblée la qualité littéraire du roman qui prend la forme d’un récit de voyage tout en rendant compte des efforts d’Hippolyte Webb (à lui seul le nom est une trouvaille) pour faire publier le récit de son aventure. En parfaite synchronie avec l’objet de son récit, ces îles qui ont été effacées des cartes, Hippolyte Webb est par le fait même en disharmonie avec le monde dans lequel il vit, le nôtre, qui n’accorde d’importance qu’aux choses consignées dans les dictionnaires, répertoires, atlas ou thésaurus de toutes sortes. La romancière utilise ce subterfuge littéraire comme prétexte au véritable propos du roman : que représente aujourd’hui la quête de la vérité, du vrai ? Ne faut-il accorder foi qu’aux choses qui s’enrobent des apparats de la vérité, avec à l’appui la quincaillerie scientifique qui sépare le bon grain de l’ivraie ? Hippolyte Webb nous rappelle que sans imagination, le monde est bien peu de chose.
« Bien que nullement fantasmagorique, ce livre rentre néanmoins dans la catégorie des ouvrages d’imagination, écrit Hippolyte Webb, comme Le voyage au centre de la terre de Jules Verne, Les mines du roi Salomon, de H. Rider Haggard et L’étrange manuscrit trouvé dans un cylindre de cuivre de James De Mille. Non parce qu’il évoque un monde inconnu grouillant d’habitants extraordinaires ou d’une faune et d’une flore exotiques, voire dangereuses ‘ ce qui n’est pas le cas. Mais simplement parce que, à notre époque, le concept de terres perdues ou jamais découvertes est fabuleux. »
J’envie déjà ceux et celles qui n’ont pas encore plongé dans cet univers fabuleux. Quant à moi, je vais dès aujourd’hui me mettre en quête des autres livres de madame Barbara Hodgson.