Le début de Sukkwan Island (prix Médicis 2010 du meilleur roman étranger) pourrait faire penser à La route de Cormac McCarthy – un autre Américain – le côté apocalyptique en moins. Comme dans le roman de McCarthy, il est question ici de la survie d’un homme et de son fils sur une terre inhospitalière et de leurs rapports quotidiens faits de silences. Sukkwan Island raconte l’histoire d’un père terrassé par plusieurs échecs personnels, qui emmène son fils vivre avec lui dans une cabane sur une île déserte de l’Alaska. Bien vite, ils devront faire face à des événements qui mettront à l’épreuve leur endurance physique et mentale. Aux tempêtes de neige et de pluie s’ajoutent la menace des ours, le manque de nourriture, la solitude. Un début donc d’une intensité qui rapproche cette expérience de lecture d’une autre tout aussi inoubliable.
Le roman ne manque pas de charme : pour qui y est sensible, le rapport à la nature, dans sa brutalité, est magnifiquement évoqué ; la psychologie des personnages (dans la première partie du moins), finement construite, rien de grossier ou de trop archétypal ; l’écriture, irréprochable. Mais arrive le drame qui scinde et ces vies et ce livre. Et il semble bien que ce soit à cause de ce tragique tournant que les juges du prix Médicis ont aimé cette fiction, parce qu’il violente assurément le lecteur. Mais, comme on dit, il y a autant de lecteurs qu’il y a de livres.
Même si le drame est justifié par la fin, et que cette fin sauve en quelque sorte la mise, on ne peut faire abstraction de son invraisemblance au cours de la seconde moitié du livre. On avait facilement excusé cette autre incohérence, celle d’une mère aimante qui laisse partir pendant une année entière son fils de treize ans avec un père en pleine dépression, dont elle a divorcé. Dans le cadre d’une intrigue surtout psychologique, ces invraisemblances ont de quoi agacer. Mais l’écriture ne perd rien de son pouvoir d’envoûtement, ou si peu, ce qui nous permet de « passer au travers du drame ».