Mentir pour survivre avant de crever aux mains de ceux qui, selon leurs intérêts et la couleur du jour, alternent mollement entre le scepticisme et la crédulité. Un tel sort, atterrant et impitoyable comme une malédiction, n’est possible que dans les univers vidés d’humanisme et allergiques à la liberté de pensée et d’expression, c’est-à-dire, quoi qu’on en dise, assez fréquemment. Ignacio Padilla ne consacre pas une ligne à préciser où et quand sont réunies les conditions d’une telle impasse ; il préfère laisser chaque imaginaire se transporter vers le nazisme, vers une justice à la Kafka ou vers Moscou et ses procès piégés. Peut-être pense-t-il aussi à nos simulacres de démocratie. Il lui suffit que règne la peur, que l’arbitraire triomphe de toute logique, que l’absence de faute soit traitée comme la forme la plus subtile d’une culpabilité dissimulée.
Son personnage a pourtant tout mis en œuvre pour se fondre dans le décor. S’il change de quartier, il le fait savoir à qui de droit. Ses vices, il les confesse à une police qui, bien sûr, en détient déjà les secrets et lui en facilite la pratique. Cette vie lisse comme un galet est pourtant mal protégée par la passivité. À la manière du docteur Knock pour qui « un homme bien portant est un malade qui s’ignore », le pouvoir, en effet, tient pour acquis qu’un individu sans aspérité est un dissimulateur. D’où, puisque la virginité de la conscience attire les soupçons, l’urgence d’affabuler. Puisque la conscience sans tache attire l’attention, elle essaiera de se protéger par de loufoques dénonciations. La machine répressive s’empressera d’y donner suite même si elle ne conclut pas à d’authentiques complots. Mascarade meurtrière.
Le roman se lit comme un manuel de judo : le secret salvateur, pense le personnage, c’est d’utiliser la force du système contre le système, de l’amadouer en lui inventant ce qu’il aimerait constater. Le drame, ce sera de voir la stratégie du mensonge balayer les criminels authentiques aussi volontiers que les fabulateurs effrayés et punir avec le même arbitraire le forfait constaté que les confessions sans fondement. Hallucinant comme la danse macabre d’une vendetta. À la peur s’ajoute, en tout cas, le désarroi de ne jamais pouvoir invoquer la raison pour ordonner le chaos. L’écriture, complexe et dense, alourdit l’atmosphère autant que nécessaire.