Cinéaste central dans notre histoire et pourtant encore méconnu des jeunes générations, Jean-Claude Labrecque est bien plus qu’un habile caméraman et qu’un réalisateur de calibre international : il demeure la mémoire vivante du Québec. À la caméra, il a été partie prenante de tous les moments marquants du cinéma québécois durant son effervescence : il fut aux côtés de Claude Jutra pour filmer À tout prendre (1963), avec Gilles Groulx pour Le chat dans le sac (1964), puis partenaire de Gilles Carle pour le long métrage La vie heureuse de Léopold Z (1965). En tant que réalisateur, il possède une filmographie impressionnante : il tourne le documentaire La vie (1968) avec Félix Leclerc, une dramatisation sur L’affaire Coffin (1979), Les jeux de la XXIe Olympiade (1976), et trois longs métrages sur La Nuit de la poésie (1970, 1980, 1991). Beaucoup de politiciens pourraient envier le magnifique portrait de Bernard Landry dans le documentaire À hauteur d’homme (2003). Récemment, Jean-Claude Labrecque a tourné à Québec deux films marquants sur notre histoire qui confirment de nouveau son statut de mémorialiste : Infiniment Québec (2008) et Le Moulin à paroles (2010), célébrant la culture distincte du Québec depuis quatre siècles.
À l’image d’une carrière remarquable, ses mémoires recèlent des moments privilégiés, tels son enfance étonnante et les pouvoirs ensorcelants de sa mère, ses débuts comme photographe à Québec, son film avant-gardiste 60 cycles (1965) qui est copié par les Soviétiques et primé à Moscou. Sans se douter à quel point il filmerait l’histoire en train de se faire, il a un jour l’idée de suivre la fameuse visite du général de Gaulle en 1967, et le récit des préparatifs de ce documentaire (qui aurait pu ne jamais se matérialiser) vaut en soi le prix du livre. Ce sont Jean-Claude Labrecque, Michel Brault et Claude Fournier qui filment en même temps la fameuse déclaration « Vive le Québec libre ! » du général du haut balcon de l’Hôtel de ville de Montréal. Le cinéaste raconte les circonstances entourant le tournage de presque tous ses films ; on admire sa capacité de se réinventer et de mener à terme tant de projets initialement refusés par des producteurs farouches.
Ces Souvenirs d’un cinéaste libre sont très bien écrits ; lorsque le cinéaste raconte la transformation de la boulangerie familiale en menuiserie, il écrit avec une touche poétique que « [l]’odeur du pain est devenue l’odeur du pin ». C’est mon ouvrage de cinéma préféré paru dans la décennie. Son seul défaut est d’être trop court, mais la carrière du cinéaste est loin d’être terminée. On en redemande.