Dans l’imaginaire de beaucoup, les Kennedy représentent une sorte de famille royale américaine dont les faits et gestes font, depuis un demi-siècle, l’objet d’une vigilante couverture médiatique. Si l’on a beaucoup écrit sur les Kennedy, eux-mêmes ont rarement étalé leurs états d’âme sur la place publique. De ce fait et considérant la longévité politique du personnage, les Mémoires d’Edward Kennedy suscitent d’emblée la curiosité.
Elles s’ouvrent au moment où les médecins lui annoncent qu’il souffre d’un cancer et que sa fin est imminente. Pour lui, l’heure des bilans a sonné. Sur le ton de la remémoration sereine, le dernier fils de Joe et Rose Kennedy entreprend alors d’égrener ses souvenirs : la vie heureuse à Hyannis Port, les études difficiles dans les pensionnats, les incessants changements d’établissements, l’épreuve de la maladie, etc. Au fil des rencontres et des événements, il apparaît tour à tour comme un fils attentionné vouant une quasi-vénération à son père, un cadet de famille admiratif de ses aînés, un passionné de la politique prompt à retenir les leçons de son grand-père Fitzgerald et, plus tard, un patriarche soucieux de maintenir la cohésion de son clan.
Si le récit de sa vie publique est un peu plus aride, celui-ci a toutefois le mérite de nous faire saisir de l’intérieur le fonctionnement de l’appareil gouvernemental américain. Ayant siégé presque 60 ans comme sénateur du Massachusetts, le vieux lion démocrate évoque, à travers de multiples anecdotes, ses batailles politiques et ses relations parfois difficiles avec les différents occupants de la Maison-Blanche. On doit souligner aussi l’honnêteté dont il fait preuve en n’esquivant pas les événements moins glorieux de son passé (son renvoi de Harvard pour tricherie, la tragédie de Chappaquiddick, ses déboires matrimoniaux, ses excès d’alcool) même s’il ne s’étend guère sur ces sujets.
Quant à l’exactitude du portrait que brosse Edward Moore Kennedy de lui-même, elle n’est sans doute pas plus grande ou moins grande que dans les ouvrages du même genre, les autoportraits étant toujours en partie complaisants. Mais, même l’esprit le plus critique est forcé de reconnaître, une fois le livre refermé, qu’Edward Kennedy fut beaucoup plus que le cadet turbulent de John et de Robert Kennedy. Son héritage politique, plus tangible que celui de ses deux frères, continuera d’influencer encore longtemps la société américaine.