Les auteurs, père et fille, lui, écrivain et historien, elle, étudiante en médecine, cosignent un roman inspiré d’une tranche d’histoire de Montréal vers la fin du XIXe siècle. Pour la première fois, des femmes sont admises à l’Université McGill, non sans avoir dû en forcer les portes et se blinder contre les railleries de leurs confrères. L’héroïne, Sarah Johnson, travaille d’arrache-pied pour se préparer à franchir aussi ces portes et « faire médecine ». Les circonstances l’amèneront à sonder sa vocation auprès des malades : les premiers cas de variole, la « picote noire », font leur apparition en février 1885 à Montréal. Bientôt, c’est l’épidémie. La propagation de la maladie fait éclater la tension latente entre anglophones et francophones, tension qui se double du clivage entre riches et pauvres. En effet, les francophones des quartiers insalubres sont tenus responsables, par manque d’hygiène, de l’éclosion et de la transmission de la maladie infectieuse mortelle. À cela vient s’ajouter le débat entre les tenants et les opposants à la vaccination. Par ailleurs, le roman fait écho à la pendaison du Métis Riel, vue comme un autre événement qui vient creuser le fossé entre anglophones et francophones dans la ville du maire Beaugrand.
Se détachent de la scène publique bon nombre de personnages fictifs, dont Philippe Fournier, journaliste à La Minerve et Peter Murray, journaliste à The Gazette, histoire de donner les deux points de vue, francophone et anglophone. La jeune Sarah Johnson a des attaches dans les deux milieux. Son histoire d’amour avec l’un des frères Ferris, tous deux jeunes médecins en vue, mais aussi figures des mythiques Caïn et Abel, exacerbera la jalousie qu’entretenait déjà l’autre à l’égard de l’élu. Des quiproquos, des coups de théâtre, des événements tragiques font rebondir l’action et mettent en péril cette histoire d’amour candide traversée par d’autres intrigues qui enrichissent le tableau socio-historique du Montréal d’il y a à peine plus d’un siècle.
L’amalgame des composantes fictives et des faits historiques est si bien réussi que l’on a peine à les départager. Sarah à l’ombre des hommes laisse chez le lecteur des images saisissantes des conditions de la vie urbaine et de l’hygiène publique de Montréal en 1885, alors que la mort rôde.