La violence imprègne ce livre de la première à la dernière page. La misère explique en partie la brutalité qui sévit à l’intérieur du cadre familial. L’alcoolisme du père fait de lui un fauve qui ne ressent la honte de sa folie que pour s’y replonger. Mais cette violence elle‑même doit beaucoup à celle que l’Angleterre inflige aux républicains irlandais. Le père a sombré parce que toute dignité lui était interdite et sa mort fut celle d’un vaincu trop humilié pour survivre. Ni lui ni ses enfants n’ont eu d’autre choix que de se rapprocher de l’IRA et de chercher dans son combat une raison de vivre.
Tyrone, fils de révolté, milite avec fougue dans l’armée de l’ombre. Il s’illustre à tel point que l’accident qui coûte la vie à un pilier de l’IRA par sa faute doit être caché. Confesser sa bévue nuirait à la cause sacrée. Ce secret, Tyrone en endurera le feu pendant les décennies de détention auxquelles la justice britannique les a tous condamnés. Car, sans pitié, Chalandon ressuscite les années effroyables pendant lesquelles Margaret Thatcher laissait les détenus poursuivre jusqu’à la mort leur grève de la faim. Tout cela serait déjà insupportable si le secret de Tyrone ne tombait pas entre les mains des Anglais. Quand ceux‑ci enclenchent le chantage, l’alternative devient inhumaine : laisser éclater une vérité qui ruinera l’image de l’IRA ou trahir discrètement la cause révolutionnaire.
Chalandon écrit une langue musclée ; il le faut puisqu’elle dit la violence. * Tom Wiliams avait le visage marqué et le regard d’un veuf. Jamais je n’entendrais autant de blessures dans la voix d’un autre homme + ; les protestants * n’ont d’irlandais que notre sang sur les mains + ; * Nous allions de tristesse en colère. J’écoutais la ville hachée. Les mots en fragments +. Quant il décrit les conditions de détention des militants de l’IRA, Chalandon ne nous en épargne aucun détail ; cela dépasse l’entendement.
Le pire, c’est que les trêves et même les traités censément étanches n’éteignent pas la haine. Les rivaux la combattent et apprivoisent la réconciliation, mais rien ne peut soustraire Tyrone aux risques d’un retour à Killybegs. S’il revient quand même en ces lieux, c’est en pleine conscience.