Repenser l’action politique de gauche est sans doute un des textes les plus significatifs qui aient interpellé la gauche politique au Québec. Pierre Mouterde expose avec clarté et franchise les fondements ainsi que les raisons de son combat radical, plus que jamais d’actualité. Mais il en souligne aussi les difficultés. À l’heure du néolibéralisme, même si les résistances émergent, la lutte pour un nouveau projet social demeure dispersée, une sorte d’indécision persiste quand vient le temps de tracer les perspectives de l’action sociopolitique : militer à gauche, oui, mais sur quelles bases et dans quel but ? comment construire notre pouvoir et orienter notre mouvement ? Ces questions demeurent incontournables à la lumière de l’échec des alternatives sociales au XXe siècle et de l’impasse de la stratégie politique des partis traditionnels de gauche. De plus, voilà que les idées inspirant individualisme moral et dérive religieuse marquent l’air du temps, en marge de l’action collective. Comment comprendre ce phénomène de désorientation, ce besoin de sens et de réappropriation du politique qui demeure à combler ? Ce sont là des questions essentielles abordées par l’auteur dans un style convaincant qui se combine à une argumentation bien structurée pour définir une philosophie de l’action collective à l’aune de la libération et de l’émancipation.
Constatant l’état de mobilisation difficile de la gauche et ses problèmes d’orientation, il s’agit d’abord de « faire de la politique une instance centrale » pour reconstituer le lien sociopolitique qui s’est brisé. De même, il est important de renouer avec l’histoire et de comprendre les luttes du passé mais dans l’établissement d’une « nouvelle filiation » conjuguant la référence aux « acquis » avec la compréhension de « l’inédit aujourd’hui ». Ensuite, c’est là un argument au cœur de l’ouvrage, un projet résolument à gauche gagnerait à réintroduire la pensée stratégique au sein de la réflexion et de l’action politiques en tenant compte de « l’implacable jeu de rapports de force qui structure le champ sociopolitique ». Enfin, poser ainsi la question du pouvoir dans la société nécessite une rupture, une stratégie offensive contre le « pouvoir institué » dont l’axe de déploiement demeure en même temps indissociable de la consolidation d’une alternative aux pratiques éminemment démocratiques.