Un jeune délinquant issu des quartiers pauvres de Montréal ayant été charrié d’un foyer à l’autre durant toute son enfance et qui se retrouve au premier plan de l’aide humanitaire, effectuant des missions dangereuses pour Médecins sans frontières ou le Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations unies, voilà qui ne se voit pas tous les jours. On aurait donc pu lire l’histoire complaisante d’une rédemption, mais comme le dit avec finesse Jean-Christophe Ruffin dans sa préface, il s’agit en fait d’une réhabilitation. À la dure ! Car Marc Vachon est un homme sachant utiliser son passé pour garder la conscience alerte et la folie disponible dans son travail de logisticien. C’est ainsi qu’on tient tête à l’inhumanité dans chacune des figures qu’elle exploite.
Loin de nous balancer une hagiographie stérile, Marc Vachon, avec l’aide du journaliste François Bugingo, nous parle en provenance du terrain de ce qu’il a fait et vu, point, sans exclamation. Du Mozambique à l’Irak, du Soudan à l’ex-Yougoslavie, de l’Afghanistan à l’Angola, les cruautés s’accumulent. Et le Rwanda , « nouvel Auschwitz », pire que l’Éthiopie, que le Biafra, selon les mots de Xavier Emmanuelli. Des nouveautés, des inédits : avec l’Irak, on découvre la médiatisation et la commercialisation de l’humanitaire ; lors du génocide rwandais, les civils prennent part aux massacres. Sur cette question, Marc Vachon en profite d’ailleurs avec raison pour rappeler l’inaction de l’un de nos héros « nationaux », sénateur libéral, représentant à merveille le louvoiement perfide de la politique internationale canadienne. Je cite Vachon : « Je pestais contre ce général canadien, Dallaire, à la tête de sa petite troupe d’impuissants. Il aurait pu faire plus que passer son temps à râler contre les Nations unies, contre les ONG, contre les médias absents. Jamais contre sa lâcheté et contre son incapacité ». Difficile de croire que notre demi-dieu ne savait rien des tractations des multinationales minières (notre bienfaiteur Paul Desmarais, lié à notre ami Jean Chrétien, copain de George Bush père et j’en passe ) dans la région des Grands Lacs d’Afrique, plaque tournante de la recolonisation de l’Afrique par le capital privé.
C’est cette hypocrisie parmi d’autres, ce cynisme des grandes puissances comme de plusieurs organisations mondiales mis en acte sur le terrain par des opportunistes sans scrupules qu’éclaire le récit de Marc Vachon. Mais notre ex-biker ne verse jamais dans la grande noirceur. Au fond, malgré tout, c’est d’abord l’humanité, avec tous ses travers, qui est sa seule et unique cause.