Auteur de plusieurs romans et longtemps journaliste au quotidien Le Monde, Éric Fottorino publiait en 2009 L’homme qui m’aimait tout bas, un récit autobiographique à la mémoire de son père adoptif qui s’est donné la mort en 2008. Éric Fottorino y traçait le portrait d’un homme à la fois discret, voire pudique, et exubérant, débordant de vie. Le titre du livre résumait bien l’homme, le père qui apprend au fils à célébrer la vie, à apprécier chaque instant. Sur le mode de l’introspection affective, qui ne versait à aucun moment dans l’apitoiement, le récit se présentait comme une réflexion sur la vie, sur la filiation, sur le suicide et les questions qu’un tel acte suscite chez les survivants.
Questions à mon père s’adresse cette fois au père biologique et, comme son titre l’illustre, se décline sur le mode interrogatif : pourquoi ? qui ? quand ? comment ? Toutes questions que le fils a longtemps ignorées, refoulées, les réponses ne pouvant à ses yeux ni changer ni racheter le passé. Jusqu’à ce que survienne la mort de Michel, le père qui aimait tout bas, celui dont la mort préfigurerait les retrouvailles avec le second, celui qui se taisait, qui s’était tenu éloigné avant que la maladie ne l’emporte à son tour. Des échanges de courrier et des rencontres s’ensuivent entre les deux hommes tandis que le fils remonte le cours des années, découvre une autre filiation, une autre famille. Peu à peu, il apprend à connaître l’homme qui se nomme Maurice Maman, gynécologue et chef clinicien, père de famille, Juif errant de Rabat, d’abord venu en France pour y étudier avant qu’il ne rencontre la jeune fille qui deviendrait sa mère. La suite ressemble à toutes les histoires d’amour lorsqu’on a vingt ans, jusqu’à ce que la jeune fille, encore mineure, tombe enceinte et que la famille refuse qu’elle épouse un Juif.
Ce second récit se présente tout à la fois sous la forme de brefs échanges épistolaires, voire d’élans poétiques, et d’une enquête qui remonte le fil du temps, lève le voile sur certains pans de l’histoire familiale, et celle de la France dans les années qui ont suivi la fin de l’époque coloniale qu’on eût sans doute préféré garder secrets. L’humour qu’y distille Fottorino, qui découvre une culture qui lui est à la fois étrangère et familière, nous préserve à nouveau de verser dans les bons sentiments, dans l’inutile recherche de coupables. Les rencontres avec Maurice interpelleront d’abord le journaliste, puis le fils qui devra à nouveau faire le deuil d’un père. Entre la première et la dernière phrase de ce récit, l’écrivain cherchera à donner libre cours aux sentiments qui l’habitent, à jeter un pont entre la vie et la mort de ces hommes qui ont façonné son propre parcours.