Si on demandait à de jeunes Québécois à quand remonte le projet d’indépendance, certains indiqueraient l’année de fondation du Parti Québécois (1968) tandis que d’autres feraient peut-être référence à un autre mouvement, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN), coprésidé par Marcel Chaput et André d’Allemagne, et créé en 1960.
Peu de gens pourraient vraiment répondre à la question contenue dans ce titre, pertinemment choisi. Selon le politicologue Denis Monière, l’idée d’un Québec indépendant a émergé dès 1760, juste après la bataille des plaines d’Abraham ; il en montre éloquemment les raisons, la logique, les étapes, les justifications mais aussi les obstacles. Il reconceptualise le nationalisme québécois comme étant une réponse au colonialisme persistant qui a caractérisé le système fédéral canadien, avant et après la Confédération de 1867. Le rejet du colonialisme anglo-canadien était un argument-phare des souverainistes durant les années 1960, mais on n’a plus beaucoup utilisé ce concept par la suite. En ce sens, ce modèle de nationalisme particulier correspond à une volonté d’émancipation d’un peuple (les Québécois) qui ne se reconnaît pas dans le modèle hybride et dilué d’une nation se voulant à la fois unique, composite et biculturelle (le Canada). En outre, Denis Monière explique concisément pourquoi les mouvements nationalistes ont toujours échoué dans leurs tentatives successives, par exemple au moment du « beau risque » de 1985, lorsque le mouvement souverainiste a perdu son élan durant plusieurs années. Une dimension importante est cependant sous-estimée : la politique du multiculturalisme canadien, qui neutralise subtilement le principe pourtant essentiel des « deux peuples fondateurs ». Afin de répondre objectivement à la question initiale, l’auteur ne manque pas de critiquer les stratégies et contre-offensives correspondant aux quatre grandes erreurs de l’option souverainiste depuis un demi-siècle.
Deux points forts caractérisent Pourquoi le Québec n’est pas encore libre : d’abord, ce texte est d’une étonnante clarté et d’une indéniable concision ; de plus, le spectre couvert est très large et s’étend de la fin de la Nouvelle-France jusqu’à nos jours. Au terme de cette lecture, on se demande si l’espoir d’un Québec indépendant constitue une utopie, ou si ce ne serait pas plutôt l’image – largement propagée – d’un Canada bilingue et idéalisé qui serait utopique ?
Ce Pourquoi le Québec n’est pas encore libre est à ranger aux côtés des grands livres qui éclairent ce qu’est le Québec ; je pense à la réédition du classique de Louis Balthazar, Nouveau bilan du nationalisme au Québec, ou à Le Canadien français et son double, de Jean Bouthillette. On recommanderait ce Pourquoi le Québec n’est pas encore libre aux bibliothèques publiques et on oserait même espérer une traduction en anglais, afin de répondre à la question persistante, issue des années 1960 : What does Quebec want?.