Un roman me remet sur la seule piste humaine et sensible qui ait un sens après la destruction du World Trade Center. Plateforme, de Houellebecq, est une œuvre magistrale, pas tellement pour sa forme ou sa finesse d’écriture, mais par son savoir lucide (la lucidité étant la blessure la plus rapprochée du soleil, dit René Char). Ce roman donne une surprenante vue d’ensemble de ce que peut être devenue la société occidentale, profondément décadente. On pense au Déclin de l’empire américain, de Denis Arcand. Mais dans Plateforme, la porno occupe plusieurs larges scènes, et Houellebecq sait être d’une précision hallucinante quand il est question d’enculages et d’ébats sexuels. C’est troublant, mais tout à fait à sa place dans le roman. Ce qui est plus décisif cependant, c’est que l’auteur avait appréhendé l’attentat terroriste du 11 septembre. Ce roman était prémonitoire, il se termine par un attentat qui tue l’amoureuse du narrateur (Michel). Ce qui suit n’a plus que les allures d’une terrible vindicte contre tout personnage islamisant.
Ce roman rappelle que tout est toujours effroyablement plus compliqué qu’il n’y paraît au sein des organisations humaines. Mon frère, ma fille auraient pu faire partie du lot des victimes lors de l’attaque du World Trade Center. Alors, j’aurais hurlé à la mort, j’aurais sur le coup voulu venger mes amours. Le roman de Houellebecq se situe dans le flou exact de la littérature la plus nécessaire. Grâce à une histoire, par le jeu d’une certaine fiction, il permet de comprendre sans vraiment rationaliser ce qui se passe autour de soi et dans le monde, en partie du moins. Il dit que le monde occidental, et européen en particulier, est mourant, et que les forces de vie se trouvent ailleurs, mais que ce monde agonique se trouve encore extrêmement puissant et riche. Pareil à un vieillard lubrique, avant de crever tout à fait, l’Occident abuse, auprès des petits et des petites, partout dans le monde. Quelle prise de conscience, tout de même!
Mais toute conscience n’est pas annihilée. Des voix s’élèvent pour oser dire que l’Occident est honteux et soucieux, que l’Occident n’a même plus l’art pour le faire jouir. Il ne lui reste que les sexes d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique. Cela fait réfléchir. Il faudra à l’Occident une forte dose d’amour gratuit s’il ne veut pas se voir basculer dans l’indigence la plus indigne. Mais l’Occident n’aura probablement jamais ce reste de puissance.