J’habite Côte-des-Neiges, un quartier de l’ouest de Montréal que j’adore. Pourquoi ? Parce qu’à l’intérieur de deux pâtés de maisons, entre le Roi du Dollars, Couche-Tard, Jean Coutu et la Banque Laurentienne, je trouve les marchés Sieû Thi et Ramdas, la boucherie Le Shalom et la librairie hébraïque Rodal, la Maison du bifteck Fireside, les restaurants Frontline (cuisine canadienne sans doute complète) et Kam Shing (cuisines chinoise, cantonaise et szechouannaise), sans compter le Centre communautaire philippin, le coiffeur haïtien et bien d’autres encore. Ma cadette et ma benjamine jouent quotidiennement avec une Malienne, des Sikhs, des Québécois et des Juifs sépharades. J’ai retrouvé dans le livre de Ghila Sroka ce mélange ouvert d’identités, cet accès dans la réalité à une communion empathique ne tombant pas dans la fusion mutilante.
Où va le Québec ? Question qui, sous son apparente généralité, marque la nécessité d’un déplacement des structures, des imaginaires, des langues et des cultures. Et cette liste n’est qu’un avant-goût du travail et du voyage à entreprendre. Ainsi, qu’en est-il, dans notre situation spécifique, de l’indépendance ? Cette question – et plusieurs autres, tout aussi urgentes et appropriées –, l’auteure, journaliste et éditrice de La Parole Métèque et de Tribune Juive, nous propose de la reprendre sous le prisme et le discours de dix intellectuel(le)s. Rompue au difficile art de l’entretien, elle saisit par les cornes la dialectique identité/altérité, sujet individuel/sujet collectif, pour inviter ses interlocuteurs et interlocutrices à présenter leurs réflexions au sujet du nationalisme, de l’histoire, de l’art, de la différence, de l’immigration, du racisme et, en filigrane, inévitablement, de la haine et de la compassion. Au carrefour de ces voix, celle de Ghila Sroka apparaît défendant l’idée d’une « communauté citoyenne », selon elle nécessaire parce qu’inexistante à Montréal. Quelles racines une telle communauté exige-t-elle ? Celles de la mémoire et de la démocratie, encore à reconnaître et à construire. Peut-être pourra-t-on alors, au détour du futur, déployer des ressources imaginaires empêchant le « totalitarisme soft » dont parlait René-Daniel Dubois et que notre classe politique (souvent secondée par une bonne part de notre classe universitaire) continue d’installer soigneusement et secrètement. Espérons-le pour nos enfants