Omaha Beach, Omaha la sanglante, l’une des cinq plages du débarquement de juin 1944 où périrent 4720 soldats, un bon tiers des pertes totales du 6 juin. Symbole absolu de l’absurdité de la guerre.
Nous ne sommes pas une île, et le passé, lourd de ceux qui nous ont précédés, fait partie de notre héritage intime, pour le meilleur et pour le pire ; nous sommes la somme de nos morts, nous les portons en nous, nous nous définissons par eux, et sommes moins libres qu’eux, nous qui n’avons d’autre choix que de vivre. Leur empreinte, la vie qu’ils n’ont pas vécue, leur jeunesse éternelle, figée dans nos mémoires et confinée dans la terre, impossible pour nous de nous en délester. La guerre est terrifiante, mais la guerre est un jeu, pour ceux qui n’ont plus peur. Nous ne sommes pas une île, mais sommes le plus souvent impuissants à soulager l’autre dans sa douleur infinie.
Telles sont quelques-unes des réflexions abordées par l’écriture fine, très ironique dans la gravité du propos de Catherine Mavrikakis, dans cette courte pièce de théâtre qu’est Omaha Beach, Un oratorio. Une petite œuvre bâtie autour du gazon vert d’un cimetière de soldats américains morts en Normandie et d’une famille en deuil depuis 60 ans de deux jumeaux tombés dans la fleur de l’âge lors du débarquement, avant même d’avoir foulé le sable.
Sur l’étendue herbeuse ponctuée de croix si blanches, la sœur des soldats morts et sa fille, vieilles toutes deux, tentent de se réapproprier leur existence, de guérir les plaies. Avec leurs proches, elles viennent pour la première fois sur ces tombes anonymes. Pour une ultime conversation, elles vont à la rencontre de leurs morts, trouvant avec stupeur une armée de spectres qui hantent le lieu nuitamment, se livrant à des jeux, recréant sans cesse les batailles du passé, se dissipant en ébats moins qu’innocents face à la mer silencieuse. Rencontre du présent avec le passé, étrange et brutale, souvent drôle et désespérante. Fascinante.
Avec ce texte, Mavrikakis, nous dit l’éditeur, amorce un cycle américain, peuplé de personnages errants entre de petites villes perdues des États-Unis, Montréal et l’Europe.
Catherine Mavrikakis est écrivaine et essayiste, professeure au Département d’études françaises de l’Université de Montréal depuis juin 2003.