Écrivain désavoué et renié par une partie de la France après la Libération, Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945) porte néanmoins la marque de son époque. Personnage tourmenté, influençable, hésitant, mais par ailleurs sensible et indéniablement talentueux, il se définira tour à tour au cours des années 1930 comme étant socialiste, fasciste, puis staliniste, pour s’apercevoir chaque fois – mais trop tard – de ses erreurs de jugement. Il a fait paraître une multitude de romans et d’essais, dont Une femme à sa fenêtre (1930), Le feu follet (1931), Journal d’un homme trompé (1934), Gilles (1942) et Ne plus attendre (1942).
À la fois autobiographique mais écrite à la troisième personne, cette esquisse de roman sur la sexualité douloureuse occupe seulement une trentaine de pages, et est suivie d’un court fragment intitulé « Heures. Humiliations » et d’une nouvelle, « Parc Monceau ». Probablement rédigé autour de 1943, le morceau principal reste somme toute assez achevé, bien que l’écrivain y exprime sans stylisation et sans autocensure le message qu’il voudrait transmettre à travers son personnage central. Le récit détaillé de ses premières expériences sensuelles avec des femmes de passage risque peut-être de choquer, bien que le ton emprunté ne soit jamais celui de l’exploit, mais au contraire celui de la confession profane. Lassitude, désarroi, sentiment de vide : le narrateur décrit avec accablement les techniques et les fonctions sexuelles dans une atmosphère de désœuvrement, voire de saleté, un peu comme on rédigerait une lettre de suicide. Dans ces pages posthumes, le style de Drieu la Rochelle s’apparente au journal intime, mais on songe également au désespoir kafkaïen, ou à ce titre autobiographique de Baudelaire, Mon cœur mis à nu. Le préfacier Julien Hervier fait d’ailleurs ce rapprochement avec Kafka dans son excellente mise en contexte, qui occupe la moitié du présent ouvrage. Dans ses Notes, Drieu la Rochelle exprimait en peu de mots les contradictions intérieures de son personnage central : « Il est stupéfait et jouit de son impunité en même temps qu’il souffre de sa culpabilité ». Par moments, on pourrait croire que le romancier avait réuni la matière primaire de ses souvenirs et qu’il lui restait encore à styliser, à peaufiner son texte resté à l’état brut. Mais ici, pour le jeune Drieu la Rochelle, l’amour ressemble plutôt à une souillure.