En 2011, le romancier remportait le Prix littéraire de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon pour son roman Otchi Tchornya, aussi édité chez Coups de tête. Étant donné la philosophie de cette maison, on doit s’attendre à ce que Noir linceul secoue ses lecteurs d’une quelconque façon. La citation en exergue attribuée à Étienne de La Boétie, « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux », annonce, il est vrai, une critique sociale certaine. Mais chez Coups de tête, il faut provoquer, par les idées et la crudité des images ou de la langue. Ici, par exemple, la description d’un viol brutal et le recours à la langue argotique, y compris dans la narration. Quant aux idées, les personnages centraux, chez qui l’on sent la présence de l’auteur, en profèrent qui apparaîtront tranchées et obscurantistes à bon nombre de lecteurs. En effet, la théorie du complot (les Juifs sont des victimes consentantes, Marilyn Monroe a été assassinée, les gouvernants nous divisent pour mieux régner, etc.) et l’idée que les groupes minoritaires (homosexuels, féministes, handicapés, femmes violées, etc.) monopolisent les médias pour se poser en victimes de la majorité, trouvent d’ardents défenseurs en Zelda et Auguste.
Plusieurs intrigues s’entrecroisent, dont une policière. Le narrateur extérieur à l’histoire emprunte le regard de trois personnages principaux qui sont à un tournant dans leur vie : le Québécois bourru, Hyacinthe, journaliste et éditeur en congé à cause d’un épuisement professionnel, en quête de silence et d’anonymat ; Auguste, bourlingueur franco-suisse, la quarantaine, à la recherche d’une forme de stabilité qu’il croyait pouvoir trouver au Québec, avant qu’il n’y découvre de trop nombreuses règles et une culture trop « ricaine ». Et puis il y a Zelda, insatisfaite de ses conditions de travail à Genève, et sans véritables attaches, qui aspire à changer de vie. Attirée par une offre d’emploi parue sur le Web, la jeune femme est prête pour l’aventure dans un pays qui lui apparaît comme un caillou au milieu de l’océan, Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est là que ces personnages feront connaissance, sympathiseront, se mêleront à la vie de l’archipel, lequel offre un espace romanesque remarquable. La fin nous laisse sur un projet commun en voie de réalisation et sur un silence coupable qui atteste la tendance anarchiste du roman.