Toujours le même, mais jamais prévisible, le détective Nestor Burma raconte ses six dernières enquêtes. Sans surprise, il reçoit plus de coups de matraque que n’en peuvent encaisser deux douzaines d’occiputs, collectionne les cadavres comme le ferait une épidémie, ingurgite tout ce qui peut « faire du bien à sa gorge », ne dort qu’au moment de changer de chapitre, accumule les dettes comme d’autres les diplômes, adore les femmes qui préfèrent les jupes aux pantalons, mais il transperce de ses lumières (Fait lux est sa devise) toutes les énigmes qu’on lui propose ou qu’il s’adresse à lui-même sans provocation ou rémunération de qui que ce soit. Il n’est ni Maigret, ni Poirot, ni Colombo. Ses modèles, il faudrait les chercher, quitte à les retoucher ensuite, dans la littérature policière étatsunienne dont le cinéma a fait ses délices. Plus près de Philip Marlowe que de Mickey Spillane, mais avec la gouaille du Lemmy Caution incarné par Eddie Constantine.
Paris, on s’en doute, demeure omniprésent. Un Paris lourd, pluvieux comme une Bretagne de mauvaise humeur, cruel aux humbles, peuplé de ghettos parallèles et imperméables, mais où Burma trouve toujours ses marques et dont il décode les usages en familier de tous les macadams. Ce quatrième tome des enquêtes de Nestor Burma entraîne pourtant à l’occasion le détective loin des arrondissements parisiens. De cette déloyauté à l’égard de la métropole, on retiendra surtout l’évident plaisir que prend Burma-Léo Malet à « revenir au bercail ». Montpellier et ses environs, c’est pour l’auteur et son alter ego les années d’enfance, les rues parcourues par l’adolescent et que l’adulte retrouve rebaptisées à la moderne. C’est aussi l’occasion de faire intervenir la guerre d’Algérie dans la culture d’une ville moyenne, d’évoquer les défis que lance le racisme, de départager (déjà !) les intransigeants et les modérés. Burma n’est certes pas exempt de préjugés, mais sa pratique de l’enquête lui a enseigné à vérifier avant de conclure, à se méfier des apparences même vestimentaires et des accents. L’argot est présent, mais il sonne juste, comme une langue spontanée, naturelle, quotidienne, sans jamais verser dans l’artifice d’un bal-musette pour touristes en mal d’encanaillement. Vivant, sans prétention, reflet juste et crédible d’un monde à peine révolu.