Claude Esteban est un poète de l’émotion concrète, qui découpe le vers, l’agence avec minutie, le rend à son exacte nature verbale : dire, faire. Traducteur (d’Octavio Paz, Jorge Luis Borges, Jorge Guillen), essayiste (Critique de la raison poétique, Flammarion, 1987) et poète, Claude Esteban a publié également Soleil dans une pièce vide (Flammarion, 1991), prose dans laquelle l’auteur circulait avec habileté entre les tableaux du peintre Edward Hopper et le décryptage d’une réalité qui à la fois s’inventait et semblait issue de la représentation picturale.
Morceaux de ciel, presque rien , regroupe des poèmes déjà parus chez Fourbis et des inédits. Le poète y explore une sorte de déperdition, comme si son univers se rétrécissait, devenait ce « presque rien » en « morceaux de ciel » que le titre annonçait. Fragments, formes brèves – une section « Écorces » emprunte la manière du haïku japonais -, diptyques présentent un paysage qui indique que pointe la sécheresse et que la parole, dans une extrême tension, accepte d’aller jusqu’à se perdre, disant « n’importe, on est toujours le même, on écoute, / on fait semblant de comprendre, un peu, le vent redouble». Les mots, les jours et les espoirs sont comptés. « Là où l’espace est sans limites / un coeur s’étouffe » dit le poète. Morceaux de ciel, presque rien de Claude Esteban est un receuil d’une grande intensité, la parole y avance dans un territoire d’agonie, une version de la réalité qui mot à mot sidère : « et puis ce fut / beaucoup de noir devant moi. »