Thèse plus stimulante et colorée que convaincante et rigoureuse. Que le Canada doive aux autochtones plus que ce qu’il confesse, peu le contesteront. Faut-il, à partir de ce constat, remanier l’histoire du pari est-ouest qu’est la Confédération canadienne ? Faut-il, avec plus d’audace encore, axer l’avenir canadien sur le principe du « cercle humain » que Saul retrace dans les habitudes des autochtones et qui garantirait une croissance sereine ? John Saul le prétend avec force et imagination sans que sa proposition dépasse jamais le stade de l’hypothèse sympathique. Le climat politique s’en trouverait rasséréné, mais ce serait prêter à nos décideurs des pensées exotiques. Leurs cercles à eux, ce sont, dominateurs, ceux du rail, des pelleteries, du blé, du pétrole ou de l’armement.
Certes, Saul trouve des signes qui accréditent sa cause. Le problème, c’est, dirait l’enquêteur novice, qu’un indice ne prouve rien à moins de révéler une constante. Même le sondage, l’encyclique de nos temps impies, ne devient probant que s’il entraîne dans son sillage une diversité d’endossements. Dans le cas présent, élégantes mais dispersées, les hirondelles n’annoncent pas le printemps. Les autochtones valorisaient le consensus auquel Pearson prit plaisir, mais qui prétendra que notre cher Prix Nobel a appris sa diplomatie sur les genoux d’une maman autochtone ? Quand Champlain évoque d’éventuels mariages entre les Blancs et les filles de leurs alliés hurons, algonquins et montagnais, Saul en conclut : « Cette phrase de Champlain révèle la nature des relations entre les Premières Nations et les Européens… » Une hypothèse aussi probable, ce serait que Champlain, frotté de Bible, rêvait d’une alliance semblable à celles de la Genèse. Le reste à l’avenant. Un principe se confirme : selon un marteau, l’univers ressemble à un clou…
Saul investit mieux ses considérables ressources culturelles quand il stigmatise l’élite canadienne. Frileuse, stérile, myope, elle ne parvient même pas à imiter les gestes que d’autres pays osent et dont ils profitent. Ni créativité, ni dignité, ni sens de la solidarité. De quelle élite parle Saul ? De toutes ses incarnations. L’université regarde passer le train, le secteur privé procrée d’humbles et craintifs surveillants de succursales, la classe politique abomine la clarté et la détermination. Charge vitriolique où Saul renoue avec les meilleurs diagnostics de ses ouvrages précédents. À cette fidélité dans le reproche s’oppose le peu de pertinence du traitement suggéré ici : le « cercle humain » semble un surgeon inattendu.
Saul n’aide pas sa cause quand il range parmi les oracles qui mettent de l’avant « des idées judicieuses en matière de règles et de stratégies » nul autre que « Peter Munk, président fondateur de Barrick Gold ». Peut-être Saul ignore-t-il en quelle estime (?) Barrick Gold tient le droit de parole d’une maison d’édition comme Écosociété.