Enfant de Paris, le sociologue Edgar Morin fait revivre sa ville natale à différents moments de sa propre vie : son enfance « au pied de la butte Montmartre », sa jeunesse à Ménilmontant, puis ses années de Résistance pendant l’Occupation. C’est à ce moment de clandestinité que le Juif Edgar Nahoum devint Edgar Morin. Par la suite, l’écrivain déménagea à maintes reprises dans les lieux les plus vivants de la capitale : entre autres à Vanves (près de la porte de Versailles), à Saint-Germain-des-Prés, dans le Quartier latin, le Marais, et enfin à Montparnasse.
Dans cet autoportrait intellectuel accessible à tous les lectorats, Edgar Morin partage les lectures déterminantes de ses années de formation : Montaigne, Anatole France, Tolstoï, Dostoïevski. Celui qui allait plus tard écrire Le cinéma ou l’homme imaginaire (1956) évoque par ailleurs sa découverte des chefs-d’œuvre de Fritz Lang, Georg Wilhelm Pabst, Marcle Pagnol, Jean Renoir et plus tard sa rencontre avec Jean Rouch, avec lequel il allait coréaliser un documentaire parisien resté mémorable, Chronique d’un été. Il parle aussi de ses rencontres avec des écrivains, dont l’égocentrique Marguerite Duras et le sémioticien Roland Barthes, et avec le cinéaste Claude Jutra (1930-1986) et sa compagne Johanne Harrelle (1930-1994).
Dans le genre autobiographique, Edgar Morin fait ici preuve d’une écriture magnifique. Décrivant par exemple le trajet de l’ancien tramway parisien au-dessus d’une voie ferrée, il utilise une jolie formule : « Qu’une rue devienne pont pour redevenir rue me poétisait ». On lui pardonnera quelques redites d’un chapitre à l’autre, dont le récit de ses premiers émois d’adolescent dans le métro bondé. On regrettera aussi la petitesse et la mauvaise qualité des photographies anciennes incluses dans l’ouvrage sans aucune date ni légende.
On retrouve chez Edgar Morin le talent des grands conteurs comme Dickens qui savaient observer la vie quotidienne pour ensuite la réinventer de manière vivante et réaliste. Ceux qui attendaient l’autobiographie d’Edgar Morin découvriront avec intérêt Mon Paris, ma mémoire en suivant le parcours parisien d’un penseur exceptionnel et d’un « humaniste planétaire », selon l’expression de l’UNESCO. Un ouvrage similaire (Mes Berlin 1945-2013, Le Cherche midi) est paru presque simultanément.