Chaque couple rencontre un jour, sur le chemin de son amour, un point de bifurcation. Pour Michel et Julia, la fracture s’est produite il y a dix ans déjà, prenant l’aspect anodin d’une vision enfantine de leur fillette Mado : qu’a-t-elle réellement aperçu un après-midi, alors que sa mère était absente ? L’autre femme n’était-elle qu’une affabulation de cette enfant névrosée ou s’agissait-il d’une présence bien réelle, toute en chair ? Peu importe, la limite de rupture est atteinte et le couple se désagrège à l’image de leur voilier vermoulu que Michel s’entête à retaper, dans l’espoir de vacances estivales réparatrices.
Derrière ce titre évoquant subtilement l’égocentrisme de deux êtres qui crurent s’aimer mutuellement, Yann Queffélec trace encore une fois le portrait d’un amour destructeur et impossible, comme il sait si bien le faire depuis Les noces barbares. Pourtant, contrairement à l’histoire de ce roman qui lui valut le Prix Goncourt en 1985, la trame de Moi et toi recèle des parcelles de tendresse entre la jalousie et les déchirements. Car si l’on a cru, ne serait-ce qu’un instant, trouver le grand amour en l’autre, il n’est plus facile de déserter à l’heure de la trahison.
Le lecteur assiste donc à la sournoise et lente désagrégation de cet attachement qui liait Julia et Michel, voit la haine se distiller, de plus en plus concentrée, dans les échanges de ce couple dont les partenaires connaissent tous les trucs du jeu consistant à se blesser autant qu’on s’est autrefois adoré.