Même avec le recul du temps, Mandrin demeure objet de controverse. Adulé par un certain public, haï par ceux qu’il dépouillait, traqué par les soldats du roi, il mena à un rythme fulgurant une carrière à la Robin des bois, quelques meurtres répugnants en sus. Le portrait que brosse de lui Michel Peyramaure présenterait pourtant moins d’intérêt si Mandrin occupait constamment l’avant-scène. Pour notre plus grand bénéfice, ce n’est pas le cas. Mandrin intervient au milieu du XVIIIe siècle, dans une France mise en coupe réglée par une monarchie aussi gourmande qu’astucieuse. Versailles dépense, mais ne sait comment saigner la paysannerie. La solution, c’est le recours aux « fermiers généraux ». À eux de prélever l’argent que réclame la monarchie. Ils exercent un véritable pouvoir de taxation et gardent comme commission la différence entre ce qu’ils doivent remettre et ce qu’ils ont extorqué. Sans surprise, cette « différence » a eu tendance à prendre du volume.
C’est là qu’intervient Mandrin. Il se donne pour mission de dépouiller les émissaires des fermiers généraux. Pendant un temps, par la rapidité de ses déplacements et son sens de la stratégie, il place les fermiers généraux sur la défensive, vend à leur place et à meilleur prix les denrées d’importation, déstabilise le système fiscal. Mandrin n’en devient pas pour autant un modèle de vertu et de cohérence. Sa justice est expéditive, aléatoire, parfois répugnante. Il exige de ses hommes loyauté et discipline, mais il devient capricieux et imprudent. L’espionnage et la frustration d’une maîtresse mettront sur sa piste les seuls adversaires capables de mettre fin à sa mission : les soldats du roi. Il fallait s’y attendre, car les fermiers généraux n’étaient, malgré tout, que les percepteurs de la monarchie. Si celle-ci n’obtient plus l’argent requis pour ses excès, son armée prendra la relève et les jours de Mandrin seront comptés. Plus lucide, plus mesuré, peut-être aurait-il tenu plus longtemps contre la milice ; c’était quand même une cause perdue.
C’est une page importante de l’histoire de la France que raconte Michel Peyramaure. Peut-être peut-on aussi appliquer les données de ce roman à la Nouvelle-France, car elle fut, elle aussi, souvent affermée par la métropole à des intermédiaires peu scrupuleux.