Dernier-né de Richard Millet – le vingt-cinquième -, Ma vie parmi les ombres est une immense fresque du Haut-Limousin rural, contrée de nostalgie qui survit ici grâce aux réminiscences de Pascal, le narrateur, écrivain comme l’auteur. Une nuit, voilà qu’il s’épanche auprès de sa très jeune maîtresse, Marina Faurie, originaire de la même région mais qui, différence d’âge oblige, découvrira un pays tout autre, révolu, auquel elle n’a accès que par le récit qu’il lui en fait.
Fils de Solange, une femme froide qu’il ne voit que quatre ou cinq fois l’an, Pascal vit entouré des femmes de sa vie : sa grand-mère et ses grands-tantes dont est esquissée ici, entre autres, la vie au temps de la guerre et de l’Occupation. Entre Louise, la grand-mère aimante, Marie, veuve inconsolée, et Jeanne, la commerçante, le gamin grandit au rythme des mSurs ancestrales. Mais, dans le monde rural et féminin qui est le sien, il trouve plus qu’un divertissement dans la littérature ; en s’y réfugiant, il découvre la musique des mots, une réjouissance – voire une consolation – qui tranche avec la rudesse du travail de la terre, avec les tâches quotidiennes et ses maux d’enfant. À la géographie de sa Corrèze natale s’ajoute celle d’un autre monde tout aussi réel : « [ ] l’histoire d’un homme serait, outre le tissu d’anecdotes constituant sa vie (ou plutôt cette succession d’existences qu’on appelle une vie), l’ensemble des couches laissées en lui par ses lectures dont l’accumulation finit par produire non pas des vies parallèles ou imaginaires mais le cœur même de sa véritable existence, l’histoire d’un tel homme n’étant que celle d’un lecteur ».
Esquisse d’un temps révolu mais aussi longue confidence d’amant, le dernier roman de Richard Millet pose un regard lucide sur la modernité. Finement ciselées, les milliers de phrases qui font la trame de Ma vie parmi les ombres ont un pouvoir évocateur prodigieux !