Monique LaRue a du cran. Après avoir traité de l’enseignement au cégep – en particulier celui de la littérature – dans La gloire de Cassiodore qui lui a d’ailleurs valu le prix du Gouverneur général 2002, la voilà qui traduit sous forme romanesque avec son tout récent titre, L’œil de Marquise, la très complexe problématique de notre identité nationale et son cortège de questions connexes.
De l’attentat à la bombe dans l’édifice abritant les bureaux de l’Impôt fédéral à Montréal en 1966 (dans la réalité, celui de la Bourse de Montréal) au projet annulé de reconstitution de la bataille des plaines d’Abraham en 2009 en passant par les deux référendums, le commentaire de Jacques Parizeau sur l’argent et le vote ethnique, le code de Hérouxville destiné aux immigrants et la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, Marquise observe la multitude de changements qui ont façonné le tissu social québécois malgré ou en raison des polémiques, frustrations, remises en question, désillusions, prises de position extrémistes et valses-hésitations de toutes sortes. Taisant ses propres idées, Marquise raconte, commente et tente de cerner les irrémédiables dissensions entre ses deux frères tout aussi opposés par leurs opinions politiques que par leur personnalité respective : l’aîné, Louis, sûr de lui et volontaire, un indépendantiste convaincu et parfois buté qui a flirté avec le terrorisme dans sa jeunesse, et le cadet Doris, solitaire, ombrageux et silencieux, obnubilé par le racisme et indifférent aux revendications des nationalistes. L’un comme l’autre seront cependant profondément transformés par les liens noués avec une foule de personnages au fil des décennies : Osler, voisin et ami de la famille Cardinal, pour qui l’« oppression » dont souffrent les Flamands en Belgique est similaire à celle des Canadiens français ; Virginia, première épouse de Louis, une artiste photographe anglophone de Westmount ; Salomon, le mari de Marquise, issu d’une famille juive athée ; Carmen, une jeune femme d’origine mexicaine nostalgique de son pays natal qui aura un fils de sa brève liaison avec Doris et deviendra plus tard la compagne de Louis ; Noriko, amie d’origine japonaise de Doris qui deviendra le parrain de son fils ; et surtout Jimmy Graham dont le père concierge a trouvé la mort dans l’attentat aux bureaux de l’Impôt fédéral
Avec une plume vigoureuse, Monique LaRue propose un roman très dense et rapide, aux ramifications qui frôlent parfois l’excès ‘ l’épisode au Japon, le lien filial entre Marco Tremblay et Jimmy Graham et le destin de Salomon scellé par un jeune Amérindien ‘ où le récit, voyageant entre présent et passé, traite avec audace d’un sujet infiniment sensible à travers de nombreux personnages. Trop peut-être ? En effet, les Louis, Doris, Virginia, Jimmy, Carmen et autres arrivent mal à vraiment nous toucher. Tout se passe comme si la complexité de leurs motivations et de leur personnalité s’évanouissait sous le poids de la thématique ; ils apparaissent ainsi comme des figures archétypales symbolisant les diverses positions qui s’affrontent au sein de la société québécoise sur cette vaste question de l’identité nationale. Néanmoins, L’œil de Marquise mérite amplement lecture ne serait-ce que pour cette audace et les questions qu’il véhicule auxquelles personne ne peut rester indifférent.