Ce n’est pas tous les jours qu’une chanson vous mette sur la piste d’un écrivain, de surcroît un écrivain qui, avec une banale histoire d’amour entre un maçon et une institutrice de province, vous tiendra en haleine du début à la fin. Mademoiselle Chambon est un pur délice qui se lit d’une traite et qui vous laisse pantois une fois le livre terminé. Vous remerciez Vincent Delerm d’avoir écrit cette chanson, Fanny Ardant et moi, qui évoque si bien l’univers romanesque d’Éric Holder, et vous en redemandez. Vous vous mettez aussitôt en chasse d’autres titres, La correspondante, Bienvenue parmi nous, romans tout aussi étonnants que délicieux, superbement écrits, et vous découvrez, un bonheur ne vient jamais seul, que le bougre a aussi écrit des nouvelles, On dirait une actrice et autres nouvelles, Nouvelles du Nord et d’ailleurs, que vous ne trouvez évidemment nulle part. Qu’à cela ne tienne vous commanderez tout, vous promettant dès à présent de suivre à la trace Éric Holder.
Voilà, je suis accroc, hypnotisé par une écriture qui ramène constamment à l’essentiel de ce qui fait la littérature, les mots, la phrase, le rythme, la musique, l’évocation d’espaces intérieurs qui se déploient à l’infini, et qui rappelle que l’écriture est avant tout une formidable percée sur l’inconnu, un pur geste de liberté qui ne souffre aucun compromis. L’histoire de Chirac, le plus récent roman d’Éric Holder (enfin, m’y voici), poursuit dans la même veine, poussant cette fois l’audace jusqu’à n’offrir à ses lecteurs qu’un mince fil conducteur, Chirac, une petite ville du département de Lozère, abritant à peine plus de six cents âmes, mais c’est sans compter les personnages qui s’y arrêtent le temps d’un roman. Ari, bien sûr, le personnage principal, si cela a un quelconque sens ici, dont le modus vivendi se résume à deux mots : réserve et audace. Ari vient tout juste de passer sa maîtrise d’histoire et se voit confier le soin de rédiger une brochure sur l’histoire de la ville. Et puis il y a les autres, Julia, Bastide Florian, Stefani, Jean le muet, Cabassol, le commissaire Leone. Le récit s’amorce sur le projet de brochure, bifurque aussitôt sur l’un des thèmes chers à Éric Holder, l’impossible relation amoureuse, ici entre Bastide Florian et Julia, et l’histoire, la petite, se tisse ainsi à notre insu, nous entraînant tantôt à la suite de Julia et Florian, et tantôt sur les traces d’un polar impossible à circonscrire. L’écriture est lumineuse, même si l’on a parfois du mal à se retrouver dans la trame romanesque. Ce que l’on croyait être une piste s’avère un sentier qui part de Chirac pour explorer les environs, pour aussitôt nous y ramener, point central de ce roman par essence évanescent. Comme si Éric Holder avait fait sienne la devise d’Ari : audace et réserve.
Il me reste à attaquer les nouvelles.