L’hirondelle avant l’orage nous plonge dans la Russie des années 1930, au moment de la catastrophique collectivisation des terres en Ukraine et à l’époque où la paranoïa du complot chez Staline allait atteindre des sommets et entraîner la mort de millions de personnes soupçonnées d’activités contre-révolutionnaires. Pour évoquer cette période de terreur, Robert Littell centre son récit sur la destinée d’une de ses victimes, le poète Ossip Mandelstam, dont il recrée les dernières années en mêlant faits historiques et reconstitutions romanesques.
Quand débute le récit au printemps de 1934, Mandelstam a une quarantaine d’années. Bien que vivant dans la misère la plus noire, il a encore le cœur léger et l’appétit du bonheur. Rien ne peut arriver de vraiment terrible « tant qu’il [lui] restera une muse et une érection ». Malheureusement les plaisirs d’alcôve ne font pas oublier très longtemps les vexations auxquelles il est quotidiennement soumis, la principale étant la mise sous le boisseau de sa poésie.
Pour beaucoup d’artistes comme lui, l’air était devenu irrespirable dans la Russie de Staline. Mandelstam s’ouvre alors à ses deux indéfectibles amis, Boris Pasternak et Anna Akhmatova, de son projet de faire tomber le dictateur par la seule force de son art. « Je sais comment le détruire [ ]. Je crois profondément au postulat selon lequel le noyau d’un poème renferme [ ] un pouvoir explosif. Je suis capable de libérer ce pouvoir, je peux déclencher l’explosion si je réussis à [ ] laisser éclater le cri de révolte coincé au fond de ma gorge. »
Ce cri prendra la forme d’une épigramme brocardant « le montagnard du Kremlin, / le bourreau et l’assassin des Moujiks ». L’existence de ce texte fut rapidement portée à la connaissance des tchékistes, signant du coup l’exil de Mandelstam et de sa femme. Au terme de cet exil de quatre ans, le couple rentrera à Moscou avant d’être de nouveau arrêté. Pour Ossip, ce sera la relégation aux confins de la Russie où il mourra de faim et d’épuisement le 27 décembre 1938.
Le récit de Littell sur cette tranche de l’histoire russe peut se lire à différents niveaux. Outre son indéniable valeur documentaire pour ce qui est des rouages de la terreur, on peut y voir une fable tragique sur l’impuissance de l’artiste devant le pouvoir totalitaire mêlée à l’évocation de l’amour d’un couple jeté dans la tourmente de l’histoire. En somme, L’hirondelle avant l’orage dessine un paysage romanesque d’une grande richesse et confirme le talent d’un écrivain en pleine maîtrise de ses moyens.