Jüg Kattellan a sept ans quand meurt son père. Dans sa langue naïve et au détour de réflexions souvent amusantes pour le lecteur adulte, il nous raconte ses trois jours de deuil, pendant lesquels un de ses plus grands regrets est de ne pas avoir de peine. Jüg ne sait pas si le fait de ne pas pleurer la mort de son père peut constituer un péché. C’est que son père, il ne le connaissait pas vraiment.
C’est tout l’univers d’un petit garçon vivant dans un village québécois au milieu des années 50 que nous découvrons au fil de ce récit rempli de réflexions et d’apartés tous aussi accrochants les uns que les autres. Ainsi, il y a son grand ami Julien, dont on comprend entre les lignes qu’il vient probablement de France (il dit « croc-en-jambe » au lieu de « jambette ») et qui est de « la religion athée ». La famille de Julien se fait tout de même passer pour protestante ; ainsi, on se fait regarder bizarrement, mais on continue d’appartenir au monde du connu. Il y a aussi « la folle à Lechasseur », qui a de grandes jambes et un tempérament détestable, et toute la famille de Jüg, dont sa grande sœur Énaïl, qui lui apprend toutes sortes de beaux mots, ou son frère Braner, qui n’a jamais peur de rien.
Tout en racontant sa petite vie quotidienne bouleversée par les rituels du deuil, Jüg explique ses connaissances sur le déroutant monde des adultes et sur l’omniprésente religion : « Dans le temps de la Bible, c’est pas comme aujourd’hui parce que c’est rempli de miracles, comme la fois où Moïse a traversé la rivière Rouge en marchant sans se mouiller. Jésus aussi l’a fait, ce miracle-là, […]. » Peu à peu, avec beaucoup de réalisme et de sensibilité, on creusera aussi le mystère du non-dit dans la relation père-fils.
Une bouffée d’air frais, des passages qu’on a sans cesse envie de citer à pleines pages, dans une langue pleine de candeur. L’art consommé de l’auteur est d’ailleurs mis en relief par l’alternance entre les chapitres principaux, rédigés dans cette langue d’enfant, et les courtes sections où le narrateur d’âge mûr reprend la parole pour relater des bribes de la même histoire avec ses yeux d’adulte.