Heureuse initiative que celle de la Bibliothèque québécoise de rééditer dans un même volume les trois récits publiés par Jean Royer entre 1991 et 2004 sous les titres La main cachée, La main ouverte et La main nue. La symbolique de la main prend tout son sens chez Royer quand on sait qu’il est né sans main droite. À l’origine d’une vocation d’écrivain il y a souvent une faille à combler, une blessure remontant à l’enfance, hypothèse certainement endossée par l’auteur qui dit avoir reconstruit son intégrité corporelle à partir du langage : « Je deviendrai écrivain : écrivant de la main gauche l’absence de la main droite ».
Le parcours de Jean Royer impressionne : journaliste aux pages culturelles du journal Le Devoir de 1977 à 1991, l’homme de lettres est un témoin privilégié de l’activité littéraire, un animateur de la scène culturelle, une encyclopédie vivante de la poésie québécoise contemporaine. Non seulement il connaît les œuvres mais il connaît aussi les écrivains, ceux qu’il a interviewés, ceux qu’il a rencontrés, ceux avec qui se sont établis des rapports amicaux, ceux qui suscitent son admiration. Mentionnons au passage de touchants souvenirs rattachés, entre autres, à Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Roger Lemelin, Antonine Maillet, Gabrielle Roy, Gaston Miron et Paul Zumthor.
Écrivain et grand lecteur, Jean Royer semble avoir réussi à conjuguer l’action et la vie contemplative, les déplacements et la sédentarité, le temps des rencontres et celui de l’écriture. Les trois mains foisonne de belles pages parcourues par le souffle du poète chez qui on remarque une prédilection pour les îles (îles de la Madeleine, île d’Orléans, île de Montréal), lieux habités, lieux de liberté, lieux du désir de créer.
Par le biais de cette trilogie, Royer revient sur un parcours dont on sent qu’il a été soutenu par l’amour : amour des livres et du langage, certes, mais aussi amour partagé avec les amis, les femmes de sa vie et aussi avec sa mère, premier objet d’affection et sans doute inspiratrice de sa passion des mots. L’écrivain sans main droite n’affirme-t-il pas : « Dans l’amour, j’aurai mille mains », ce qui prouve qu’il a bel et bien réussi à vaincre un handicap de naissance, lui dont la vie n’aura cessé d’être une main tendue vers l’autre.