Monsieur Hata est un homme respecté, un commerçant d’équipements médicaux qu’on aime appeler « docteur » lorsqu’on le croise dans les rues de Bedley Run, une petite ville de l’État de New York. C’est un Asiatique qui a su, à force de modestie et d’humilité, se faire accepter par les bourgeois du beau quartier où il habite avec sa fille adoptive Sunny. D’origine coréenne, Monsieur Hata a été élevé par une famille japonaise, et c’est alors qu’il est au service de l’armée de ce pays qu’il renoue brièvement avec ses origines. En effet, pour remonter le moral des troupes, l’armée avait installé de jeunes Coréennes, nommées tout simplement des « femmes de réconfort » dans le campement. Elles étaient cinq pour plus de deux cents soldats, sans compter les officiers. L’une d’elle est placée sous la garde du jeune Hata. Celle-là, il veut être seul à l’aimer, mais son désir égoïste a été fatal à la jeune femme. Les temps forts de ce roman sont d’ailleurs attachés aux passages où Hata se souvient et mesure mieux, avec l’âge, le sort réservé à ces femmes.
Au retour de la guerre, puis en exil aux États-Unis, Monsieur Hata n’arrive pas à vivre avec une femme. Mais son désir d’enfant est grand. Si bien qu’il réussit, sa bonne réputation aidant, à adopter une petite Coréenne abandonnée par ses parents. La petite ne comprend pas ce père, ni son désir d’enfant. Elle ne réclame rien pendant longtemps, puis se rebiffe devant sa nature irréprochable. Il y aura une rupture. Et puis la vie prendra un autre cours. Et c’est peut-être arrivé à la fin de ses jours que Monsieur Hata commence à vivre vraiment. Voilà un roman prenant au style pudique, qui met en lumière la complexité des sentiments et des liens qui nous unissent aux autres. Il lève aussi le voile sur l’histoire de nombreuses jeunes filles sacrifiées pendant les guerres dont on signait l’arrêt de mort en les obligeant à donner leurs corps pour requinquer les soldats. Chang-rae Lee a réussi à écrire l’horreur à laquelle on les condamnait.