On ne sort pas toujours indemne d’une lecture de Göran Tunström. Il faut au lecteur un solide moral et l’espoir vissé au cœur pour ne pas se laisser abattre par ces histoires qui parlent de folie, d’angoisse, de solitude, de mort, d’exil et d’abandon. Avec le regard de l’écorché et une plume d’une grande retenue (« La guerre arriva jusque derrière la maison. »), Tunström rend terriblement palpable et émouvante la fragilité du bonheur humain.
Les saints géographes débute ainsi. À la suite d’une rencontre au Piré, Jacob, le narrateur, est frappé par le souvenir de son père. À partir de ce souvenir, il se souvient et recrée, de l’intérieur, l’amour « inquiet » entre ses parents, Hans-Christian et Paula, deux êtres « à des décennies l’un de l’autre », au moment de leur installation dans un petit village suédois à la fin de l’été 1939.
Entre ce pasteur vieillissant et cette jeune femme fragile, enceinte de leur premier enfant, règne une intimité assombrie par un protestantisme pesant. Tissée de silences, de soumissions et de respect, cette union fragile va basculer dans le drame. Après son accouchement, Paula sombre dans la folie. Au même moment éclate la Deuxième Guerre mondiale.
Malgré cette double tragédie, Hans-Chrisitian accepte, en homme généreux, de diriger une association locale de géographie, vouée au partage de la connaissance, à la lutte contre la succursale locale du nazisme, au recul de l’ignorance et à l’ouverture au monde. Ce petit monde d’idéalistes sympathiques, ces saints géographes, permettra à Hans-Chrisitian et aux siens de ne pas être emportés par le chaos de la folie et de la guerre.
Ce dernier titre de Goran Tunström publié en français et remarquablement traduit par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach, est le premier roman, largement autobiographique, qu’il ait publié (1973) et le premier à prendre pour cadre son village natal, Sünne.
Si Les saints géographes ne fait pas montre de la même maestria que les chefs-d’œuvre comme L’oratorio de Noël et Le voleur de bible, on y retrouve quand même tous les thèmes qui vont nourrir l’uvre de Tunstöm et son ton unique.