Notion évanescente, l’identité peut définir l’individu (« qui je suis »), au sens juridique comme du point de vue de la personnalité, mais peut aussi désigner le groupe auquel on s’identifie, ou les groupes, puisqu’il est possible d’appartenir simultanément à plusieurs entités dans lesquelles on se reconnaît : parmi nos concitoyens, ceux qui parlent notre langue, les gens de notre génération, notre classe sociale, etc. Le titre ambigu de ce livre s’explique par le fait que même l’initiateur de cette notion, le psychanalyste Erik Erikson (1902-1994), avait admis n’avoir jamais défini ce qu’était l’identité, reconnaissant avoir donné plusieurs prolongements à ce terme, selon qu’il s’agissait de l’individualité singulière ou au contraire d’« une solidarité avec les idéaux d’un groupe ». Le philosophe Vincent Descombes interroge successivement la tradition américaine sur les théories psychologiques de l’identité, les usages de cette notion, et l’identité collective : le « nous », le peuple, la nation.
Toutefois, étant davantage philosophe que pédagogue, l’auteur interroge plus qu’il ne définit cette idée (sauf au dernier chapitre), ce qui donne un livre à l’opposé du manuel dont la fonction première serait d’instruire et de clarifier. En revanche, le chercheur déjà familier avec les différentes conceptions du sujet trouvera ici une réflexion approfondie. On pourrait reprocher à l’auteur un certain sectarisme, rejetant l’identité telle que conceptualisée par les sociologues américains Peter Berger et Thomas Luckmann sous le seul prétexte que leur position rattachée à l’interactionnisme symbolique se situerait à l’opposé de la position d’Erikson. On s’étonne aussi de ne pas trouver de mention des travaux d’Henri Tajfel (1919-1982) sur sa théorie de l’identité sociale.
Le dernier chapitre sur les identités collectives est le plus stimulant : en plus de son « moi », qui correspondrait à son individualité, chacun porterait un imaginaire historique de son « nous », qui lui permettrait d’affirmer sans l’avoir vécu directement, par exemple : « Nous sommes les Romains, nous avons jadis vaincu les Carthaginois ».
Cependant, les sources n’apparaissent pas toujours, par exemple les allusions à Pascal ou à Benveniste. Ouvrage dense, Les embarras de l’identité laisse plusieurs questions en suspens. Pierre Nora (Les lieux de mémoire), Dominique Schnapper (Qu’est-ce que la citoyenneté ?) ou Edgar Morin (L’identité humaine) abordaient le sujet avec plus de clarté.