L’auteur veut réhabiliter quinze œuvres littéraires du XIXe siècle. Le résultat donne à réfléchir.Lazure nous explique le pourquoi et le comment de son entreprise dans une fiction à la première personne qui accompagne les œuvres elles-mêmes, souvent de copieux romans que Lazure réduit à une dizaine de pages chacun. On trouve ici des digests de Maturin, James Hogg, Ponson du Terrail, Georges Rodenbach et quelques autres auteurs de récits gothiques ou fantastiques. Lazure invente aussi des dialogues où ces écrivains échangent avec lui sur le sort défavorable réservé à leurs œuvres. Derrière des intentions louables et un travail solide, son projet a quelque chose d’ambigu ou d’ambivalent, pour ne pas dire de contradictoire : « Dans notre siècle de haute performance, où tout va vite, j’ai simplement voulu montrer, à des lecteurs et lectrices d’aujourd’hui, qu’on pouvait encore lire des auteurs d’hier sous une forme abrégée ». Faire court pour contrer notre propension à aller vite…L’essentiel des romans ainsi dégraissés repose alors sur leur contenu, sur l’anecdote, l’écriture et tout ce qui constitue la teneur littéraire de ces œuvres ayant disparu. On a là des concentrés dont l’intérêt varie de l’un à l’autre ou selon le type de lecture qu’on fait de ces Effacés. Est-ce mon sentiment personnel ou le fruit du hasard si ceux de Charlotte Dacre, de E. T. A. Hoffmann et de Maturin m’ont plu et si ceux de Soulié ou de Villiers de l’Isle-Adam sont d’un ennui sans nom ? Qui ou quoi doit-on blâmer : le roman d’origine, le principe du digest ou l’auteur des condensés ? L’Ève future (1886), par exemple, se retrouve dépouillé de ses caractéristiques propres, de tout ce qui en fait un roman digne de ce nom, malgré ses faiblesses éventuelles ou réelles, malgré son appartenance à une époque révolue et le fait qu’on se tourne parfois vers de telles œuvres parce qu’elles sont justement autres. Ramener un récit de 500 pages à quelque dix ou douze pages reconduit l’idée qu’un roman n’est qu’une anecdote plus ou moins élaborée, que la littérature repose sur une matière qui se transpose sans incidence majeure, comme si on réduisait une symphonie à quelques mesures qui permettraient à un auditeur pressé de gagner du temps. Gagner du temps, c’est la grande affaire actuelle, il faut éviter le « gaspillage » que représentent vingt heures de concentration solitaire. Quelle est alors la pertinence du projet de Jacques Lazure ?Si L’Ève future ennuie au point qu’on doive l’amputer de 390 de ses 400 pages, pourquoi se donner la peine d’en proposer un tel sommaire ? Laissons-le dans sa poussière, objet de curiosité pour les historiens patients.La plupart des œuvres ici proposées étaient des feuilletons dont les auteurs, on le sait, étaient payés à la page (au mot ou à la ligne), et avaient ainsi intérêt à étirer la sauce. Certains lui conservaient parfois sa saveur (au roman ou à la sauce), d’autres, moins talentueux ou peu fortunés, la diluaient.À qui s’adressent ce livre, la fiction qui l’enrobe et les quinze résumés proposés par Lazure ? C’est une autre question qui m’a accompagné tout au long de ma lecture.En même temps je trouve l’idée intéressante et Lazure, je le souligne, a beaucoup et bien travaillé. Je ne juge pas son travail, seulement le résultat. Il nous propose, concrètement, un magnifique problème, qu’on peut décliner en quelques questions dont la liste reste ouverte : Pourquoi lire ? Lire quoi ? Qu’est-ce que lire et qu’est-ce que lire une œuvre littéraire ? Sous quelle forme devrait-on conserver les œuvres ? De combien de pages devrait-on réduire Bonheur d’occasion ou La nausée pour qu’un adolescent d’aujourd’hui s’y intéresse ? De 50 ou de 90 % ? Devrait-on accepter le fast food littéraire et ramener ces œuvres à une cinquantaine de mots que cet ado pourrait engloutir comme une poutine, en trois minutes, avant de l’oublier ? Je suis sérieux. Le projet de Lazure l’est tout autant. Ces questions restent ouvertes. Lazure a eu le courage, la passion et la patience de répondre. Il m’a également donné le goût d’aller lire au grand complet deux ou trois des titres originaux.
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