Pour souligner les vingt années depuis sa disparition et peut-être pour préparer son centenaire en 2016, plusieurs livres consacrés à Léo Ferré (1916-1993) viennent de paraître (certains en réédition). Poète, compositeur, arrangeur, chansonnier doué d’une voix remarquable, Ferré a révolutionné la chanson française en étant le seul auteur capable d’interpréter ses œuvres en chantant et en dirigeant simultanément un orchestre symphonique, comme on a pu le voir au Québec lors de ses dernières tournées.
Le biographe Louis-Jean Calvet élude une partie de l’enfance de Ferré pour se concentrer sur ses propres rencontres avec lui et sur la musique, afin de mettre en contexte des chansons et des textes incandescents : par exemple, « Les temps difficiles », qui critiquait la politique gaulliste de l’époque, ou « Pépée », un hymne d’amour déchirant destiné à la guenon ayant partagé durant des années le quotidien de Léo Ferré (comme d’autres possèdent un chien ou un chat). On traverse Mai 68 aux côtés d’un Ferré distant, pour ensuite revivre la tournée de spectacles que le chanteur entama en 1970 avec le groupe Zoo, composé des musiciens français qui l’accompagnaient sur sa chanson « La solitude ». Ce groupe de rock psychédélique livrait des interprétations « d’une laideur incroyable », confiera un proche. Pourtant, le poète aux cheveux blancs attirait des foules chaque soir, médusant les spectateurs par une musique intense et des textes engagés : « Les anarchistes », « Le chien », « La ‘The Nana’ ».
On découvre aussi les fréquentations de Ferré : sa brève rencontre avec André Breton en 1956, puis celle avec Louis Aragon. On situe également cette fameuse rencontre au sommet réunissant Brel, Brassens et Ferré lors d’une émission de radio, le 6 janvier 1969. Parmi les trésors iconographiques, on lira une longue lettre inédite (reproduite intégralement en fac-similé) que Ferré adressa à son biographe ; le poète s’y définit simplement : « Au fond, je ne suis qu’un misanthrope du genre plutôt littéraire, car au fond j’aime ‘aimer’, c’est là mon désespoir, de ces désespoirs à la petite semaine qui ne vous empêchent pas de manger à l’heure ». Et pourtant, on sent en filigrane une rancune persistante envers l’ex-épouse Madeleine Ferré, honnie depuis 1968.
Compagnon idéal pour l’écoute des disques, ce livre de Louis-Jean Calvet est un pur bonheur, à la hauteur du grand Ferré. On regrette de ne plus retrouver d’artiste de ce calibre depuis vingt ans. Heureusement, Mathieu Ferré a archivé et remis en circulation plusieurs enregistrements inédits de son illustre père, sur disque et en DVD.