Merveilleux livre et ce chant sur Samuel Beckett, si intime, comme le fut au tout début de son œuvre celui consacré à James Joyce (il s’agissait en fait de sa thèse). Texte nano alors que celui consacré à l’Autre grand Irlandais était giga. « Métabeckett » duquel émerge tant de voix, dont celles de Proust, Kafka, Deleuze, Derrida, ça n’en finit pas, ça ne pourrait jamais en finir, never more ! Un véritable déchaînement de lettres que ce chant. J’en extrais même quelques-unes : « V » de vision, de vous, de voir, de voix, de vi(r)gile (et, au loin, de Thomas Pynchon) ; « B » de Beethoven, Bloom ; « D » de Dedalus, de Dante ; « H » d’Hélène, d’Humain (et, au loin, de Clarice Lispector) ; « M » de Milton ; « S » de Sam, Sham, Shen. Il y en aurait tant à pointer du bout de la langue en laissant résonner « la science de l’affliction » propre à Beckett, cette « mouture moderne de la science de l’accidia, cet amour lent d’être, cette lenteur d’aimer être, si lente, silence, jusqu’à Chut ! » Parler de son voisin de zéro, qui se tient tout juste là, à portée de disparition, ça impose de la place en soi, afin de sonder l’infini littoral de la solitude absolue. À chaque tournant, chaque fois que mer et terre se tutoient, c’est qu’on a rencontré un personnage, habitant du néant, flanqué d’un chapeau ou d’un prochain : le Dépeupleur, Godot, Lucky, Vladimir, Watt (le What de Charlot)
Enfin, Hélène le dit : « Beckett astrophysicien, comme Freud, des dramaticules du chaosmos intérieur ». Beckett nous introduit là, entre Vous et Moi, au cœur de la fatigue, de la cruauté directe, sans alibi, pas engluée dans les affects, incisive telle toute parole responsable, oliphante, branchée sur ce qu’il y a derrière-devant, « antelieu », « plein pas de place », comme quand les dimensions se conjoignent pour s’annuler dans zéro, mon très proche, très précieux, mon précieux. De sorte que Cixous lit Beckett, bien sûr !, aurait-elle pu autrement, comme colossal déconstructeur du phallogocentrisme qui, avec l’actuelle dénégation des sexes, tend à devenir de plus en plus prégnant, implanté en nos neurones. Belacqua est ce marcheur impénitent qui suit un autre trajet que le jour J du « D » de Dublin et qui se laisse, à nous, humanité, en tant que patrimoine. Il est, du plus loin de Foxrock, l’un de nos mythes pérennes, porteur de la Loi en chacun hors de nous qui nous étreint, que nous cherchons, étreignons, innommable.