Initialement paru chez Québec Amérique en 1996, Le troisième orchestre raconte la fascination d’un adolescent pour le monde des adultes durant les années 1950. Âgé de treize ans, le jeune Benoît Blondeau vit à Limoilou, précisément sur la 8e Rue, tout comme Sylvain Lelièvre (1943-2002) à cette époque, tandis que son ami Hubert Ross vit dans la Haute-Ville, sur la très chic rue Bougainville. La mère d’Hubert, Marjorie Thomson Ross, représente pour le narrateur la beauté inaccessible, une sensualité trouble et la musicalité envoûtante, car elle est violoncelliste de formation. Son accent exotique lui fait prononcer son prénom au ralenti, « Beunouwâ », ce qui le bouleverse chaque fois. Toutes ses émotions atteignent vite un caractère absolu, la moindre réplique d’elle prend aussitôt des proportions infinies. Cette musicienne plus âgée, qui incarne pour le jeune Benoît l’idéal féminin, lui servira de référence durant toutes ses années de formation, particulièrement au cours des vacances d’été sur les plages du Maine.
Le troisième orchestre est aussi un roman de l’américanité : le baseball des Yankees et des Dodgers, les avions de chasse que l’on dessine, les films de Humphrey Bogart, et surtout le jazz. Le troisième et dernier orchestre de jazz dirigé par le pianiste new-yorkais Eddy Duchin à partir de 1948 (donc après ses années de gloire) fait ici l’objet d’une vénération particulière de la part du jeune Benoît, de ses copains et de la troublante Marjorie.
Rares sont les romans dont l’action se déroule principalement à Limoilou. Dans la nouvelle préface datée de 2012, Gilles Vigneault souligne « que la description de Québec vaut à elle seule le détour ». Plusieurs lieux ayant disparu sont évoqués et revivent dans ce roman : Benoît a son compte à la Caisse populaire de Saint-Fidèle, sur la 4e Avenue ; il se rend au magasin Kirouac pour acheter une enveloppe et ensuite au bureau de poste sur La Canardière ; il passe devant le cinéma Rialto, sur la 4e Rue, en rentrant chez lui. Le style évocateur de Sylvain Lelièvre fonctionne à merveille, en dépit de l’inclusion de quelques mots crus et de sacres qui brisent l’harmonie du texte. On lit cet unique roman chargé de références en repensant à tant de chansons nostalgiques de Sylvain Lelièvre, comme « La Basse-Ville », « Rock, banana split et crème soda » ou « Old Orchard », qui proviennent du même imaginaire populaire.