Avec Le remède et le poison (Pharmakon en anglais), Dirk Wittenborn signe un cinquième roman qui tient à la fois du thriller, de la saga familiale, du récit autobiographique et qui décline sur plusieurs décennies les liens que les membres de la famille Friedrich vont développer avec les substances qui promettent de réparer les blessures de l’âme.
En 1951, quand débute le roman, William T. Friedrich est un jeune marié heureux, père de quatre enfants et un brillant spécialiste de la psychométrie. Enseignant à Yale, il est passionné par la chimie du cerveau et rêve de mettre au point la pilule du bonheur. L’occasion lui en est offerte quand une collègue, Bunny Winton, l’informe de l’existence d’une plante de Nouvelle-Zélande, le gai kau dong, censée posséder des vertus exceptionnelles pour redonner le bonheur aux esprits affligés. Ayant réussi à se procurer des spécimens de cette plante miracle, ils décident tous les deux d’en mesurer les effets réels sur des cobayes humains.
Parmi les volontaires se trouve un jeune surdoué aux idées suicidaires, Caspar Padrak. Après l’absorption de l’extrait de gai kau dong, Padrak voit sa vie transformée du tout au tout. Mais, alors qu’il est au faîte d’une réussite sociale fulgurante, et pour des raisons qui resteront inexpliquées jusqu’à la fin du roman, il tente de tuer William après avoir assassiné sa collègue Bunny. La police lui mettra la main au collet et l’enfermera dans un asile psychiatrique. Toutefois, au terme de l’aventure, la famille Friedrich aura perdu un de ses membres.
La deuxième partie du roman s’ouvre au moment où Zach, le cadet des Friedrich, entreprend de raconter le parcours qui l’a mené des ruisseaux de pêche de son enfance à la cure de désintoxication de cocaïne de sa quarantaine. Né dans l’ombre d’un mort, il n’arrive pas à trouver ses marques dans le monde qui l’entoure malgré ses succès d’écrivain. Mêlée à l’histoire de ses tâtonnements douloureux, la destinée plus ou moins heureuse de ses frère et sœurs nous est donnée par bribes. Le roman se clôt sur l’image d’un père déçu, sans être amer, qu’aucun de ses enfants n’ait atteint les objectifs auxquels il espérait les voir arriver.
En dépit d’emprunts trop voyants à John Irving dans la première partie, d’une intrigue qui peine à trouver son souffle dans la seconde et malgré une tendance parfois à forcer le trait, le remarquable talent de conteur de Dirk Wittenborn rachète amplement ces faiblesses. Avec verve, ironie et causticité, Le remède et le poison parle des regrets et des tristesses de l’existence, sans s’engluer dans le lyrisme ou le pathos. C’est là la marque d’une plume fine. Un plaisir de bout en bout.