L’auteur poursuit et atteint deux objectifs : accompagner l’immigrant dans son décodage d’une société québécoise complexe et présenter aux Québécois l’image que leur société projette à l’extérieur. Le ton est respectueux, soucieux des faits, direct sans débordement, la langue élégante à faire rougir le Québécois moyen. Le bagage accumulé en peu d’années par le sociologue est aussi considérable que bien utilisé. Victor Armony souligne le non-branchisme québécois, l’inaptitude de ce peuple à admettre ses ridicules, les carences de sa langue parlée, sa perception simpliste des accommodements raisonnables, mais il reconnaît aussi que ce peuple comble rapidement ses retards aux chapitres de la formation, de l’audace, de l’aération.
Si l’auteur a extrait des livres ce qu’ils pouvaient fournir, il manque quelque chose à sa compréhension du Québec. Ainsi, Armony parle de Franco-Québécois. Ainsi, il s’étonne de la réaction des Québécois face à l’anglais, alors que tout, dans l’histoire québécoise, explique une réserve qui d’ailleurs s’estompe dès que se répand la sécurité. S’il savait le rôle tenu par le clergé irlandais en Nouvelle-Angleterre, l’assimilation des Franco-Américains ne lui inspirerait pas sa question cruelle : « Pourquoi ces gens ont-ils si radicalement abandonné leur identité ? » Il étonne encore lorsqu’il demande pourquoi tant d’immigrants sont si déçus de leur nouvelle patrie, « pourtant censée être le ‘meilleur pays du monde’ (puisqu’il a été classé au premier rang du développement humain des Nations Unies pendant sept années d’affilée, de 1994 à 2000) ». S’offrent pourtant au pied levé une ou deux explications : les critères retenus par l’Organisation des Nations Unies ne concernent pas la vie quotidienne et seul Jean Chrétien a accordé de l’importance à ce jugement creux.
Le dernier chapitre, consacré à la « troisième solitude » que serait le judaïsme en terre québécoise, laisse songeur. L’importance numérique de la communauté juive justifie-t-elle cette attention refusée aux Québécois d’origine italienne ? Les réticences que rencontre la communauté juive ne découlent-elles pas autant des excès israéliens que des préjugés québécois ? L’affaire Michaud a-t-elle le sens que lui prête Armony ? Quant aux relations entre la communauté juive et le Québec, rappelons que le théâtre juif présentait ses spectacles dans la salle du Monument-National et que la presse montréalaise a longtemps compris un quotidien en langue yiddish. De quoi relativiser tel propos de Lionel Groulx ou la pièce de théâtre du collégien Pierre Trudeau. Pourquoi conclure sur un plaidoyer épidermique un livre par ailleurs raffiné et rigoureux ?