La rupture d’Arthur Rimbaud avec la poésie est pour les essayistes un sujet en or, une véritable manne, parce qu’elle fait appel à l’interprétation libre, ainsi qu’à une part non négligeable de témérité intellectuelle. Bien des écrivains s’y sont penchés depuis plus d’un siècle, de Paul Claudel à Henry Miller, sans compter Stefan Zweig, Jacques Rivière, Yves Bonnefoy ou, plus près de nous, Gilles Marcotte. Tenter de saisir la signification de cette apostasie littéraire, c’est étudier une asymétrie, un miroir brisé entre le poète et l’anti-poète, le génie précoce et l’aventurier. À cette fin, Pierre Vadeboncœur consigne ses réflexions sans se bercer d’illusions : ce rejet de la littérature n’a peut-être pas la signification, ni même autant de sens, qu’on a bien voulu y voir. Inutile, donc, de chercher la clef de l’énigme ; le lecteur doit s’en remettre à ses intuitions. Dans Le pas de l’aventurier, l’auteur fait « comparaître » un Rimbaud résolu à ne plus s’occuper de « ça » (la littérature). Le déni de la poésie au profit de la réalité vraie et de l’action découlerait peut-être d’une indépendance iconoclaste, dont Pierre Vadeboncœur retrace quelques signes avant-coureurs dans les poèmes de l’adolescent. Aidé d’une prose limpide et resserrée, l’essayiste replace Rimbaud au cœur d’une « littérature impatiente et pressée d’en finir », où bon nombre d’écrivains, de Mallarmé à Valéry, mirent en scène la fin de la littérature, du romantisme, de l’éloquence. Renonçant à une activité qu’il a finalement jugée trompeuse, Rimbaud a montré que les mots sont condamnés à surnager et a dédaigné la littérature comme contrefaçon, inertie, lest entravant. À la différence de Verlaine, qui n’a cessé de manifester « la vérité du sentiment », Rimbaud a fait surgir une réalité disjointe au moyen d’une poésie renfermant une sécheresse, un vide, voire une inhumanité qui l’apparentent davantage à Bonaparte ou à Nietzsche qu’aux figures majeures du trésor poétique universel, ce qui est l’occasion pour Pierre Vadeboncœur de rassembler une série de contre-exemples – d’une pertinence discutable – en citant tour à tour Miron, Aragon, Keats, Shakespeare ou Ronsard. Le pas de l’aventurier est une invitation à relire Rimbaud à rebours de son rejet de l’art, sachant que « [q]uelque chose de capital se fraye là un chemin envers et contre la littérature ».
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