Bien peu d’entre nous n’ont pas été enivrés par la vague haussière des marchés financiers de la décennie 1990. Poussés par cette croissance régulière et imprévue, nombre de citoyens ont investi leur capital qui s’est apprécié de manière substantielle et se sont mis à rêver d’une retraite hâtive, dans les lieux les plus exotiques. Soutenant à fond cette explosion vécue comme une nouvelle ère, les médias ont rivalisé d’histoires, à attiser l’envie, d’entrepreneurs, et même de citoyens ordinaires, devenus subitement indépendants de fortune grâce à leur investissement en haute technologie, qui dans une compagnie Internet, qui dans une jeune entreprise biopharmaceutique.
Écrit tout juste après la spectaculaire débâcle des marchés boursiers, en 2000, le livre de Thomas Frank, un journaliste américain et collaborateur au Monde diplomatique, dénonce vertement ce qu’il nomme le « populisme de marché », ce dogme quasi religieux mettant en symbiose l’économie de marché et la démocratie. Les deux concepts, selon les idéologues néo-conservateurs, ne feraient qu’un, si bien que combattre le marché, c’est lutter contre l’expression d’une démocratie « réelle », « naturelle », touchant de manière égalitaire tous les citoyens. Les privatisations, les déréglementations de maints secteurs économiques et autres « plébiscites planétaires » pro-marché sont ainsi présentés comme autant d’actions au service du bien-être collectif.
Or, bien au contraire, insiste l’auteur, cette idéologie renforce l’iniquité de la répartition des richesses, « la destruction du contrat social élaboré au milieu du siècle, la fameuse République de la classe moyenne ». C’est plutôt à travers le contrôle des marchés que se sont développés la prospérité et la démocratie, et non l’inverse. D’où l’impérieuse nécessité de contrer avec force cette idéologie, actuellement dominante, qui détruit le véritable progrès, soit celui qui profite au plus grand nombre.