Professeur à l’Université de Saarbrücken, en Allemagne, Hans-Jürgen Lüsebrink s’intéresse à l’univers des almanachs des deux côtés de l’Atlantique depuis plus de vingt ans. Il a codirigé, en Europe et au Canada, la publication de plusieurs essais sur le genre et publié lui-même de multiples articles, notamment sur les almanachs québécois et américains dans des revues et essais d’ici. Il était donc bien placé pour signer le maître livre qu’il fait paraître aux Presses de l’Université Laval.
Dans un premier chapitre fort documenté, il expose d’abord les origines européennes de l’almanach, à la fin du XVe siècle, et reprend comme caractérisation minimale du genre la définition donnée en 1950 par un éditeur montréalais, à savoir un calendrier accompagné de divers renseignements qui se propose de livrer, outre de saines idées sur des problèmes actuels et bien concrets, un lot de renseignements pratiques. Retraçant la structure, le contenu, le rôle, la fonction et l’évolution de ce type de publication, Lüsebrink décrit la spécificité des almanachs québécois, dont le premier, l’Almanach encyclopédique, a été publié à Montréal par Fleury Mesplet en 1777. Comme dans toutes les sociétés occidentales entre le milieu du XVIIe et le début du XXe siècle, l’almanach a constitué l’imprimé laïc le plus diffusé et le plus lu au Canada français, et souvent même, dans le Québec des XVIIIe et XIXe siècles, le seul acheté, possédé et conservé, à côté parfois de quelques livres religieux.
Le livre aimé du peuple fait état des éditeurs, des écrivains et des lecteurs d’almanachs, et touche tout particulièrement aux nombreuses rubriques offertes au fil des ans : des phénomènes naturels et astronomiques aux statistiques où sont regroupées des informations chiffrées de toute nature, du calendrier des saints et des fêtes aux lunaisons et aux pronostics de la température, des éphémérides et de la valeur des monnaies aux histoires nationale, mondiale et religieuse, en passant par le régionalisme littéraire et artistique, la défense de la langue française, les maximes, sentences, proverbes, bons mots et anecdotes, et les nombreux conseils pratiques dont l’éventail couvre toutes les sphères de l’activité humaine : l’hygiène, la santé, l’éducation des enfants, l’étiquette, les règles de la correspondance épistolaire, les recettes de cuisine, l’économie domestique, le savoir agricole… Hans-Jürgen Lüsebrink aborde aussi le rôle de la publicité, la percée de l’iconographie, la mise en récit de l’histoire, la volonté de contribuer à la constitution d’une identité nationale, la place accordée à la poésie, l’intérêt pour les nouvelles techniques… Il insiste de même sur les visées encyclopédiques de ces publications annuelles.
Après l’âge d’or de l’almanach, qui s’étendit au Québec de 1860 à 1918, il y eut un déclin amorcé dans les années 1920, à partir desquelles le genre a cédé sa place à une multiplicité d’autres médias, tels le Reader’s Digest, la revue L’Oiseau bleu, la radio, le cinéma, Internet… Lüsebrink identifie au total 153 titres d’almanachs originaux différents publiés au Québec de 1777 à nos jours. Parmi les survivants de cette longue tradition, on compte aujourd’hui l’Almanach du peuple qui, né en 1855, fut le plus répandu au Canada français entre 1900 et 1925, et qui est encore publié annuellement par la Librairie Beauchemin de Montréal.