Vous souvenez-vous du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux? Qu’arrive-t-il à la créature après qu’elle se soit enfuie dans les caves de l’Opéra de Paris? Supposez qu’elle s’embarque de façon illicite sur un paquebot à destination des États-Unis, et qu’elle se réfugie dans les bas-fonds de New York. Vous aurez la trame du Fantôme de Manhattan.
Éric Mulheim est né à Paris dans un corps horriblement déformé. Il est montré dans une cage à la foire jusqu’à seize ans. À cet âge, un mystérieux bienfaiteur le libère pour le cacher dans les entrailles de l’Opéra de Paris où il vivra pendant une dizaine d’années. Au milieu de la vingtaine, après les événements tragiques relatés par Leroux, il quitte la Ville Lumière pour gagner New York. Il continue à se terrer ; et quel meilleur endroit pour se cacher que Coney Island ? La zone est le refuge des marginaux de la grande ville, des laissés-pour-compte, des mendiants. C’est là qu’Éric participe à l’éclosion des parcs d’attractions. Il a le génie des jeux de miroirs, des mécaniques de foires. Il conçoit les maisons hantées et autres tunnels de l’amour. Plutôt que de vendre ses créations, il investit dans les parcs d’attractions naissants.
Coney Island connaît le développement que l’on sait et c’est le début d’une grande fortune. Après avoir amassé quelques millions, il fait bâtir le plus haut édifice de New York en 1906, un gratte-ciel de quarante-quatre étages. Il aménage son nid d’aigle au faîte de cet édifice. Lorsque ses assises financières sont bien établies, il entreprend l’érection d’un opéra à New York, le Manhattan Opéra, compétiteur du Metropolitan. Son but n’est pas seulement de bâtir un fabuleux opéra, mais d’y attirer la Diva qu’il a dû quitter à Paris treize ans plus tôt. Il compose un grand opéra américain et c’est avec cette œuvre que la diva inaugurera le nouvel édifice. Elle y fera un malheur, mais le fantôme de ce nouvel opéra a des visées obscures auxquelles sera confrontée la Diva. Le tout New York fera connaissance avec le fantôme de Manhattan.
C’est un suspense bien mené. Quand on voit démarrer ce grand récit, on se demande s’il tiendra la route. L’auteur a bien su transposer en terre d’Amérique ce récit et ses personnages, Ô combien parisiens. L’action est rapportée par une multitude de narrateurs : le fantôme lui-même, les chroniqueurs des journaux du temps, le prêtre confesseur de la Diva. Ce procédé est bien mené et il permet d’appréhender les personnages d’intéressante façon. Le roman connaît de multiples rebondissements et il sait maintenir l’intérêt jusqu’au dénouement.
Le livre se termine par une postface où Forsyth trace l’histoire du roman de Gaston Leroux et de ses avatars, cinématographiques ou autres. Il est intéressant de savoir que l’auteur est Anglais. Pour lui, c’est l’opéra rock d’Andrew Lloyd Weber qui a su tirer de l’oubli cette œuvre mineure d’un auteur français peu connu à l’étranger, en tirer la substantifique moelle et en faire une œuvre majeure à Broadway. Cela devient presque comique pour le lecteur francophone qui a fréquenté dans son enfance la prose de Leroux et qui est loin de croire que Lloyd Weber est l’ultime aboutissement de la culture occidentale. Nonobstant la postface, ce roman est un bon divertissement.