On retient surtout de l’année 1972 la fameuse Série du siècle opposant les vedettes canadiennes du hockey à celles de l’Union soviétique. Cette compétition a tellement marqué les esprits qu’on y fait encore référence quatre décennies plus tard ; or, il faut se rappeler que quelques semaines plus tôt la même année s’était tenu un autre duel d’envergure, soit le très attendu affrontement entre deux réputés champions d’échecs, l’Américain Bobby Fischer et le Russe Boris Spassky. Un autre face à face qui dépassait la simple compétition sportive pour atteindre au statut symbolique de duel politique entre l’Occident et le bloc de l’Est. Pour un peu, on aurait cru que l’issue de la guerre froide allait s’y jouer. Le théâtre de cet affrontement épique ? Le centre sportif Laugardalshöll à Reykjavik, en Islande.
Il s’agit là d’un prétexte privilégié pour que le romancier Arnaldur Indridason imagine une intrigue policière tournant autour de cet événement chargé de tension. Connu pour ses romans mettant en scène l’enquêteur Erlendur, Indridason déplace cette fois le centre d’attention sur son mentor, Marion Briem, que l’on apprend à découvrir en profondeur grâce notamment aux chapitres qui fouillent son passé marqué par un épisode inquiétant de tuberculose quand il était enfant. À l’été 1972, il lui incombe la tâche de faire la lumière sur une affaire sordide survenue en marge du tournoi d’échecs : le corps poignardé d’un jeune homme est retrouvé dans une salle de cinéma de Reykjavik. Solitaire, la victime avait l’habitude de se balader avec un magnétophone pour enregistrer des voix, des sons. Qu’aurait-il donc pu y avoir sur ces cassettes pour justifier qu’on soit prêt à assassiner quelqu’un afin de les lui ravir et de se les approprier ? La grande question est de déterminer s’il faut établir un lien entre le meurtre et le duel Fischer-Spassky. Et si des intérêts supérieurs, de nature politique, étaient en cause ?
Affichant un comportement typique de l’insulaire craintif de se voir un jour corrompu par l’extérieur, les personnages d’Indridason sentent souvent peser sur eux cette menace latente de l’étranger, par qui adviendrait le mal sur leur île nordique. On notera toutefois que ce trait n’est pas exclusif à l’auteur du Duel, tant on le retrouve chez d’autres écrivains islandais contemporains (on n’a qu’à penser aux romans policiers sociologiques d’Árni Thórarinsson).