Nous avons rêvé de poésie, « ce graal inutile la pierre de Rosette ». Qu’est devenu ce rêve ? demande gravement Marcel Labine. Une pièce de musée ? De la poussière sur la table ? Au fil de ces Promenades dans nos dépôts lapidaires, nous visitons ces « lieux usés par le temps / où la poésie a cessé d’exister ». Ils se présentent à nous comme les multiples salles d’un pavillon ancien. Les pavés, où étaient peut-être gravées des sentences faisant figure de lois morales, s’effritent. Tout y est stèles, et gravats, et poudre, même le vieil artisan s’est changé en pierre. À l’intérieur de ces salles, les mots, la poésie, sont des reliques « exposées sans finalité / connue ainsi soustraite à toute vie ». Le constat est terrible : « [I]l n’y a plus de lecteur pour eux ».
Il y a sans doute quelque chose de paradoxal à parler de la mort du poème à l’intérieur du poème. Et le poète en est conscient, en insistant sur ce sentiment d’enfermement, en évoquant dans des vers bien sentis, mais toujours sobres, la douleur que provoque cet isolement dans la mort même. Ses contemporains ne sont plus que des passants dans un monde où « le langage est calme / [où] l’on survit avec des slogans ». Et Labine d’ajouter, dans ces vers magnifiques : « [P]lus rien ne scintille / les mots sont en à-plats minces / comme le monde pouvait l’être / en sa genèse ».
Ainsi se tourne-t-il vers les figures qui ont rêvé sans doute de mieux, ou de plus grand. Les vers de Rilke, Bonnefoy, Aristote, Mallarmé et d’autres font écho à l’intérieur des textes à la volonté indéracinable de dire de Marcel Labine. Un chant agonique, mais chargé d’intensité – ce dont manque notre monde. Car, « l’ici-bas est notre unique contrée / il ne souhaite qu’un peu de chant / audible et habitable tous les jours ».