L’avant-propos et le contexte fournissent, en bien comme en mal, des indices sur la nature, la méthode et la valeur de ce que l’auteur qualifie lui-même de « famillographie ». Parler d’un « scandale sans précédent » à propos des faits mis en lumière par la commission Gomery, c’est ne retenir que le plus récent. C’est ignorer les liens des Pères de la confédération avec le rail, les mésaventures d’Honoré Mercier, l’affaire des faux certificats, l’enquête Salvas et quoi encore. Promettre « une forme d’objectivité » au texte sous prétexte que les ex-premiers ministres Pierre-Marc et Daniel Johnson « n’ont pas eu à approuver le récit qui suit », c’est se construire à soi-même des mirages trompeurs. Par contre, l’auteur se montre correct en fournissant dès le départ des informations sur sa méthode de travail et sur ses anciennes relations professionnelles avec les deux fils Johnson. Il était également honnête de circonscrire l’ambition : faire d’un « ouvrage de référence » quelque chose de « divertissant ».
Cela dit, la mission tourne court, faute, vraisemblablement, d’une distance critique. Le phénomène Johnson (trois premiers ministres dans une seule famille) mérite à coup sûr l’analyse et le questionnement. Même à l’échelle canadienne, ce qui élimine la tribu Kennedy ou la famille Gandhi, il aurait pourtant été éclairant de jeter un coup d’œil sur le clan Taschereau (premier ministre, cardinal, Cour suprême) ou sur celui qui, en plus de rattacher Honoré Mercier à son gendre Lomer Gouin, rejoint les générations suivantes (Paul Gouin, Thérèse Gouin-Décarie…). Le phénomène aurait ainsi bénéficié d’autres éclairages.
Ce portrait de famille se fonde visiblement sur les contacts et la vie professionnelle de l’auteur plus que sur la documentation. Encore là, avantages et inconvénients se disputent l’avant-scène. Gignac, à titre de conseiller politique, a vu l’intérieur des cabinets ministériels, ce qui le sert bien. D’autre part, cette familiarité se paie d’une imperméabilité toujours étonnante par rapport à ce qui se passe à l’extérieur du cabinet. Les cabinets ministériels, consciemment ou pas, ont tendance à protéger le ministre plus qu’à lui rapporter les échos de la société. À la limite, ils isolent le ministre plus qu’ils ne le renseignent. Gignac, familier du sérail, considère ainsi comme peuplé de remarquables personnalités un cénacle qui, au regard externe, mérite souvent moins d’éloges. D’où les jugements sévères de l’auteur sur les médias ou la fonction publique, jugements que les fils Johnson semblent parfois partager, ce que le père ne se serait jamais permis.
Une meilleure documentation aurait rendu ce survol moins complaisant et feutré certaines appréciations cruelles. Or, la recherche n’est ni riche ni toujours fiable. L’AJC s’appelait l’ACJC. La copine de Profumo (et de l’attaché naval soviétique) ne s’appelait pas Keller. Plusieurs des réalisations portées au crédit de Daniel Johnson père n’étaient pas complétées au moment de son décès. S’il est vrai que la métropole et la capitale sont parfois une seule et même ville, comme en Ontario, l’auteur aurait pu constater qu’une certaine prudence étatsunienne a souvent placé les capitales à distance des pressions du secteur privé. Qu’on songe à Sacramento, à Albany, à Tallahassee, à Washington. Quant aux jugements acerbes dont Gignac accable des gens comme Jacques Parizeau, Bernard Landry ou Pierre Marois, ils seraient légitimes dans un essai respectant les règles de la neutralité, mais ils sont inélégants dans un texte réservant la parole à la famille Johnson.