Le Suisse Nicolas Bouvier (1929-1998) est surtout connu pour ses récits de voyage, notamment L’usage du monde (1963), la bible des écrivains voyageurs, dans laquelle il dit qu’on ne fait pas un voyage, mais que « c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait ». Comme Gaston Miron, Bouvier a retravaillé toute sa vie un livre unique de poèmes, Le dehors et le dedans. Les éditions Points viennent de publier la quatrième édition, précédée d’une excellente préface de Doris Jakubek, pour qui « la grande leçon du voyage est d’apprendre à [se] débarrasser [du moi] pour faire place nette et accueillir êtres et lieux ».
Le recueil contient deux sections de vingt-deux poèmes, datés de façon non chronologique de 1953 à 1997, écrits dans des lieux aussi divers que Genève, Kyoto, New York, Ceylan, Azerbaïdjan. La première, « Le dehors », condense surtout, avec la simplicité des chansons, des expériences de voyage, des moments de plénitude : « [L]e seul fait d’être au monde / remplissait l’horizon jusqu’aux bords ». Le voyageur-poète contemple le spectacle du monde, avec ses couleurs, ses odeurs et sa musique, s’émerveille de trois fois rien, « trop ébloui / pour oser faire un pas ». Chaque poème, après avoir campé un décor, débouche sur une magnifique leçon de vie, vue comme une fumée égarante et bonne : « [Q]uand tu savais vivre de peu / ta vie t’accompagnait comme un essaim d’abeilles / et tu payais sans marchander / le prix exorbitant de la beauté ».
La seconde section, « Le dedans », intime et élégiaque, dit les amours, la solitude, l’hiver qui s’installe, la maladie, la mort qui fait son nid, les moments de nécessaire déréliction : pour Bouvier, c’est bien de terminer son voyage démuni, fragile. Dans cette section, la vie se fait douce et tuante ; le poète se prépare alors à un voyage « dans un autre ailleurs / qui ne dit pas son nom », « sans musique et sans compagnon ». Troublant de vérité, on ne peut plus près de la vie, le recueil se termine sur un constat désolé : « [N]ous ne comprenons la simplicité / que quand le cœur se brise ». Dans le silence de la nuit, avec sa voix de grillon, Nicolas Bouvier, infatigable chasseur d’éclairs, nous invite à constamment revisiter nos valeurs.