En peu de pages et dans une langue chaleureuse, Jean Perron raconte le raffermissement d’une famille que tout semblait vouer à l’inconfort de la désunion et de l’humiliation. Pas de théorèmes ni d’intrusion dans les profondeurs inconscientes, pas d’intervention artificielle et spectaculaire d’opportuns protecteurs, mais la renaissance de la confiance grâce aux ressources du clan, ressources ignorées jusqu’aux dernières pages. Comme pour mieux souligner la discrétion et la silencieuse efficacité de ces richesses latentes, la typographie se fait de plus en plus aérée à mesure que les membres de la famille retissent les liens essentiels. Du beau travail.
Sauf peut-être la fille qui poursuit en Californie sa lucrative pratique de la chirurgie, chacun des membres de cette famille endeuillée nous réserve des surprises. Le suicide d’un fils, David, a regroupé auprès des parents aussi bien les descendants demeurés à proximité que le fils errant. Dès le cimetière, des silhouettes se dessinent que le lecteur se gardera de considérer comme burinées à jamais. Gaspard, qui n’a cure des bonnes manières, n’est ni un paresseux ni un irresponsable. Louisianne, qui vit sans tension son métier de bergère, n’a pas de leçon de lucidité à recevoir de qui que ce soit. Réginald, malgré sa moto et son constant vagabondage, sait raconter Tintin aux enfants de Gaspard. Quant aux parents, Simone et Maurice, ils taisent ce qu’ils estiment ne pouvoir partager, mais ils n’attendent qu’un signe de leurs enfants pour résister aux menaces dont les abreuvent les planteurs de marijuana.
Sobrement rédigé, bellement mis en forme, ce petit livre évoque l’émouvante transition entre une existence résignée et frileuse et le retour en force d’une dignité familiale. Simone et Maurice avaient perdu tout espoir : ou la belle Louisianne subissait les foudres des truands ou la famille se résignait à ne pas voir quel trafic prospérait à l’ombre de leur exploitation agricole. Quand Réginald, dont on perçoit peu à peu le réel attachement aux siens, est témoin de ce chantage, tout bascule. On s’interroge sur les pressions qui ont conduit David au suicide. On ne sait plus si les parents ont tenté de résister aux exactions des motards. Quant à l’avenir, on ne sait même pas si Réginald demeurera aux côtés de Simone et de Maurice pour les mieux protéger. Mais ce qu’on sait, c’est que Simone et Maurice revivent. Et Maurice peut dire, même s’il ignore tout de l’avenir : « […] je suis bien content de voir mes enfants unis, prêts à se défendre et à défendre la terre. Il est trop tôt pour parler d’espoir, mais… c’est un beau feu qu’ils ont allumé cette nuit ». Le convoi des nuages, sobre redécouverte de la dignité.