Étrange roman que ce premier livre signé Vincent Brault. Le cadavre de Kowalski commence sous terre, alors que son héros, un homme dont on sait peu de choses, tente de remonter à la surface, à l’air libre. Difficile de ne pas faire le rapprochement, du moins pour le début, avec une nouvelle de Kafka, « Le terrier ». Dans cette nouvelle, Kafka raconte avec moult détails l’histoire d’un personnage qui vit sous terre à la manière d’un rongeur. Dans cet univers on ne peut plus clos, obscur, les principales « péripéties » auront à voir avec les déplacements du personnage. De la même façon, l’homme de Brault, qui n’est d’ailleurs plus qu’un cadavre, décrit d’abord minutieusement dans une trentaine de pages aérées comment, après avoir laissé la terre l’enfouir complètement, il est arrivé à créer un vide avec la main, puis un trou, et finalement un tunnel. Puis comment, à défaut de pouvoir sortir de terre, il a tenté de sortir du cadavre, de ses membres, de ce cœur devenu « une petite crotte au milieu du thorax », se déplaçant « en pensée de gauche à droite dans la tête, d’un conduit auditif à l’autre » jusqu’aux orteils.
Il n’y a d’abord que ça : des mouvements précis, des pensées sur les mouvements. À part son nom, l’homme ne se souvient de rien. On dirait qu’il vient à peine de naître et qu’il expérimente pour la première fois toutes les possibilités du cadavre – celui-ci, d’ailleurs, est toujours vu comme un élément extérieur au personnage : « Quelque chose se déroule dans le cadavre et c’est comme si… comme si ça ne me concernait pas vraiment ». De quoi est-il mort ? Pourquoi s’est-il « réveillé » ? Que lui arrivera-t-il, à lui, Kowalski, quand le cadavre sera complètement décomposé ? Qui est-il réellement ?… Sur ces points, le mystère est total, et semble vouloir le rester jusqu’à ce que le corps émerge de terre au premier tiers du livre… Mais nous n’en dirons rien de plus ici. Sauf peut-être qu’à ce moment de l’histoire, le lecteur respire un peu mieux et que son intérêt est de nouveau happé.
De toute évidence, Vincent Brault ne fait pas dans le réalisme. Que l’homme, d’origine polonaise, se mette à pratiquer le taï-chi dans le trou, qu’il connaisse cet art en 1941, voilà qui ne manque pas de surprendre. De même, on aurait peut-être voulu un peu plus de chair sur le squelette de l’intrigue – puisqu’une intrigue nous est proposée –, en ce qui concerne les motivations des personnages, plus précisément d’un certain Jacques. Mais tout l’intérêt de ce roman réside ailleurs que dans une histoire qui n’en est pas vraiment une. Fable sur les liens identitaires entre corps et conscience, Le cadavre de Kowalski nous donne à voir la merveilleuse danse d’un esprit dans un corps qui lui échappe. Étonnant.
ESPACE PUBLICITAIRE
DERNIERS NUMÉROS
DERNIERS COMMENTAIRES DE LECTURE
Loading...
DERNIERS ARTICLES
Loading...