La planète des singes et Le pont de la rivière Kwaï, universellement connus et sans cesse réédités, ont fait de l’ombre au reste de l’œuvre de Pierre Boulle. D’autres romans étaient épuisés et introuvables depuis longtemps. Remercions les éditions du Cherche midi qui, après avoir publié quelques inédits (L’archéologue et le mystère de Néfertiti, L’enlèvement de l’obélisque), viennent de rééditer Le bourreau.
Un ancien médecin chinois, expert auprès des tribunaux de la ville de Yi Ping, se confie un soir à un écrivain « en quête d’une situation baroque ». Il évoque devant lui une situation pour le moins paradoxale : un meurtre commis à l’intérieur de la prison. La victime n’est autre que le condamné à mort quelques minutes avant sa décapitation. L’enquête révèle qu’un poison très violent a été mêlé à l’ultime verre d’alcool offert au condamné. Le coupable n’est autre que le bourreau. Il aurait ainsi opéré à sept reprises.
La seconde partie du livre retrace la non moins étonnante histoire de ce bourreau, lui-même fils et petit-fils de bourreau, les charges étant héréditaires dans la Chine des mandarins. Chassé par son père parce qu’il « s’acquittait de ce métier comme d’une corvée », le jeune homme, après une passionnante odyssée de dix ans, est finalement revenu avec l’intention de devenir bourreau et d’opérer « plus vite », grâce à un précieux flacon de poison que lui a remis un guérisseur pour lequel il avait travaillé. Que pouvait-il faire d’autre ? « Il ne connaissait aucun métier propre à lui assurer une existence convenable [ ]. Il avait été élevé comme bourreau dans une famille de bourreaux. »
L’évocation de son long et pénible périple de retour en compagnie de sa jeune épouse aveugle, leur capture par des bandits, une périlleuse traversée de la montagne enneigée, le refuge forcé dans une cabane encastrée entre deux rochers, l’assaut du couple par des rats constituent des passages saisissants et inoubliables.
La troisième partie évoque un étrange procès où la partie civile est à la fois constituée par les familles des condamnés à mort, des ministres des cultes et les autorités, donc à la fois « des gredins et des honnêtes gens ». Les victimes relèvent d’une « infime catégorie d’individus », uniquement des condamnés à mort. Le meurtrier n’est autre que le bourreau, contre lequel on requerra la peine de mort pour avoir « violé sept fois la loi chinoise qui interdit de tuer » !
Un roman captivant où l’on entrevoit au détour de chaque page le regard amusé de l’auteur qui confessait avoir aimé, parfois jusqu’à l’excès, le paradoxe.